WESTWORLD

Un parc d’attractions aux allures d’Ouest sauvage devient une terre de carnage lorsque les robots qui le peuplent se retournent contre les malheureux visiteurs. Efficace, le concept avait déjà nourri chez Michael Crichton une série B visionnaire, annonciatrice de Terminator et Jurassic Park. Quarante ans plus tard, J.J. Abrams y décèle un terreau d’expérimentation idéal pour disserter sur les dérives technologiques de notre temps.
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J.J. Abrams n’a pas son pareil pour revendre des concepts vieux de plusieurs décennies en cultivant à la fois un marketing opaque et un fan service pouvant passer pour du racolage pur et simple. Exploitant les kaijus et le found footage avec Cloverfield, les films de gosses 80’s avec Super 8, l’espionnage sixties avec Alias et Mission : Impossible III, le feuilleton paranormal avec Lost et Fringe, ou encore le space opera avec Star Trek et Star Wars : épisode VII – le réveil de la force, le jeune prodige autoproclamé a installé un système plus qu’il n’a constitué une oeuvre. Capable d’accoucher de petits bijoux discrets (10 Cloverfield Lane), ce système reste engoncé dans une imitation spielbergienne réduisant l’expression personnelle à peau de chagrin. Malin, propre et désespérément calculé, le regard d’Abrams ne pouvait que s’attarder à un moment ou un autre sur l’univers de Michael Crichton, que Spielberg avait ouvert au grand public avec son adaptation de Jurassic Park. Le parc aux dinosaures étant déjà occupé par d’autres, Abrams décide de remonter jusqu’à Westworld, fable science-fictionnelle acide que l’auteur de Looker imaginait deux années seulement après l’ouverture de Disney World. En 2013, Abrams pitche à HBO une série inspirée du long-métrage ; une aventure déjà tentée avec Beyond Westworld en 1980, annulée après seulement trois épisodes. Confortée par le succès historique de Game of Thrones, la chaîne commande un pilote, mais le principal intéressé se retrouve soudainement propulsé à la tête du nouveau Star Wars. Trop occupé pour superviser le projet, Abrams se tourne vers Jonathan Nolan, scénariste du Prestige et de The Dark Knight… mais aussi créateur de la série Person of Interest avec Jim Caviezel, parrainée par Abrams. Nolan correspond aux exigences spielbergiennes de Bad Robot, la boîte d’Abrams, puisqu’il a signé en 2008 le brillant script d’Interstellar, abandonné pour cause d’inflation budgétaire par le réalisateur des Dents de la mer. Westworld mettant en scène deux mondes opposés et contradictoires, Abrams a l’idée d’impliquer Lisa Joy, compagne de Jonathan Nolan à la ville, dont le CV comporte des crédits de scénariste et de productrice pour les séries Pushing Daisies etBurn Notice. Adoubés par HBO, Nolan et Joy s’entourent d’une équipe hétéroclite, composée de la très jeune Halley Wegryn Gross (déjà à l’oeuvre sur Banshee), du vétéran Daniel T. Thomsen (Terminator : les chroniques de Sarah Connor, Once Upon a Time), du romancier Charles Yu (auteur du Guide de survie pour le voyageur du temps amateur) et d’Ed Brubaker, scénariste de comic-books Marvel.



UN LONG PÉRIPLE
Face aux promesses du pilote réalisé par Jonathan Nolan lui-même, HBO commande une saison complète de dix épisodes début 2014 pour un budget de 100 millions de dollars, eu égard aux centaines de figurants requis, aux innombrables décors extérieurs, et à des effets visuels dignes d’une superproduction hollywoodienne. Comptant des noms comme Anthony Hopkins, James Marsden, Evan Rachel Wood, Thandie Newton, Ed Harris et Jeffrey Wright, le casting fait bientôt fantasmer la presse… tout comme des problèmes de calendrier que HBO se garde bien de commenter outre mesure. Après la diffusion de quelques images fin 2014, un court teaser est dévoilé durant l’été 2015. En janvier 2016, alors qu’une date de diffusion se fait toujours attendre, la chaîne annonce un arrêt inopiné de la production. Officiellement, Jonathan Nolan et Lisa Joy ont besoin de temps et de recul pour garantir la qualité des quatre derniers épisodes. Officieusement, certains entrevoient des anicroches techniques et artistiques comparables aux détraquements robotiques du fameux parc. En avril, le tournage reprend comme si de rien n’était, et la seconde bande-annonce est dévoilée le 19 juin, créant un séisme parmi les amateurs de science-fiction hardcore. Le premier épisode ne sera diffusé que le 2 octobre aux États-Unis (le 3 chez nous, sur OCS), un délai exceptionnellement long pour une production télévisuelle, qui tend à confirmer la rigueur et le jusqu’au-boutisme de la team Nolan. « Je crois que le point de vue de la série détourne les attentes de plusieurs façons » note Lisa Joy. « Nous observons l’Ouest sauvage à travers les yeux de personnages qui sont habituellement des sidekicks : la demoiselle en détresse, l’aide de camp, la dame impertinente qui traverse la rue. Ici, ce ne sont plus des personnages périphériques : ce sont des héros à part entière. Chacun d’eux a un objectif, une histoire et des rêves. Nous commençons donc à raconter l’histoire de ce point de vue là, avant de prendre de la hauteur, et d’observer le parc à travers les yeux d’une horde de robots, qu’on appelle les Hôtes. » Les Hôtes sont ces badauds soi-disant anecdotiques, chair à canon d’un divertissement futuriste réservé aux riches amateurs de sensations fortes. Devant respecter une trajectoire dramatique prédéfinie, qu’ils peuvent agrémenter d’improvisations légères, les Hôtes sont à la merci des Invités, autrement dit des clients qui débarquent presque quotidiennement dans le parc, à bord d’un vieux train à vapeur. Une règle assure la sécurité de ces humains : les Invités peuvent torturer, tuer, violenter voire violer les Hôtes selon leurs désirs, mais la réciprocité est (théoriquement) impossible. On reconnaît en filigrane les règles de la robotique énoncées dans les années 1950 par Isaac Asimov, subtilement détournées par les créateurs du parc pour assurer un minimum de spectacle et de crédibilité aux consommateurs.
 
 

L’ESPRIT DE CRICHTON
Ce va-et-vient permanent et très ludique entre le cahier des charges de la série et celui du parc renvoie évidemment au concept initial de Michael Crichton. Si de nombreux éléments sont inversés (par exemple, l’homme en noir robotique campé par Yul Brynner devient un joueur psychotique – a priori – humain sous les traits d’Ed Harris), les obsessions de l’auteur et sa fascination pour les contrefaçons sont restées intactes ; à plus forte raison si l’on considère les efforts de récupération créative de J.J. Abrams. Dans le Mondwest original, humains et robots se faisaient passer pour ce qu’ils n’étaient pas, tout comme les mannequins de Looker (modifiées par la chirurgie esthétique), l’ambassadeur arabe des Mangeurs de morts ( [...]

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