Légendes : Jessica Harper
Fine, 1 mètre 63, une bouille d’héroïne de manga avec deux grands yeux sombres et un petit nez, des airs mutins d’éternelle fillette innocente, un zeste de mélancolie dans le regard… À l’évidence, Jessica Harper ne possède pas le physique intimidant et l’aura sombre d’une héritière de Barbara Steele. Plus que pour le fantastique et l’horreur, elle semble faite pour les comédies sentimentales de Woody Allen. D’ailleurs, celui-ci fera appel à elle dès Guerre et amour en 1975. Dans une scène mémorable, l’actrice fait part à sa cousine, incarnée par Diane Keaton, de ses tourments sentimentaux, puis conclut : « Jamais je ne me marierai, je ne ferais que divorcer ! ». Le clou d’un pastiche de la littérature russe et du cinéma d’Ingmar Bergman. Stoïque dans l’évocation d’un délirant organigramme amoureux, Jessica Harper y est hilarante.
Comédienne, elle le devient en désespoir de cause, même si elle en caresse l’espoir depuis longtemps. « Depuis mes onze ans, l’âge que j’avais lorsque j’ai assisté à une représentation de la comédie musicale Bye Bye Birdie. Je me suis mis en tête que ce type de spectacles était ce je pouvais faire de plus drôle pour gagner ma vie. » Mais assez vite, l’adolescente porte toute son attention sur d’autres disciplines artistiques…
DE BROADWAY À L.A.
« Je me suis d’abord passionnée pour la peinture, mais les toiles et les pinceaux ont fini par m’ennuyer » annonce-t-elle. « Je me suis ensuite mise à la danse contemporaine, mais là aussi, j’ai fini par m’y ennuyer. C’est alors que j’ai commencé des études d’art dramatique. Ça, en revanche, ça ne m’a jamais lassée. J’aimais depuis toujours le théâtre, je n’avais pas même songé à tenter ma chance jusqu’au jour où j’ai été engagée pour la comédie musicale Hair », le brûlot pop contestataire que Milos Forman fera passer des planches de Broadway à l’écran quelques années plus tard. « J’ai vraiment eu de la chance » reconnaît-elle. « Poussée par ma mère et mon petit ami, je me suis présentée à une audition libre et quelques semaines plus tard, nous étions sur scène. » Pas au premier plan cependant. « Hair m’a permis de développer ma voix, d’améliorer mon chant, quelque chose que je n’ai d’ailleurs jamais étudié de manière académique. En matière de musique, je ne connaissais que le violon, que j’ai pratiqué à six ou sept ans. Mais j’adorais chanter. Je rêvais même d’être Dionne Warwick, que j’écoutais constamment durant mon adolescence, tout comme le White Album des Beatles et Harry Belafonte. Tout ceci m’a beaucoup servi par la suite. »
Les planches off Broadway, Jessica Harper les brûle justement ce jour où, parmi les spectateurs de la pièce Doctor Selavy’s Magic Theater, se trouve un certain Brian De Palma. Le réalisateur recherche l’interprète idéale de Phoenix, la chanteuse piégée par le diabolique Swan de Phantom of the Paradise. Jessica Harper lui tape dans l’oeil. Elle est jeune, charmante, elle chante juste, danse avec grâce… Exactement le profil qu’il lui faut. « Le lendemain de la représentation, j’ai reçu un appel de la production » se souvient l’élue. « J’étais convoquée à une audition qui consistait à chanter pour Paul Williams, mon futur partenaire et le compositeur de la bande originale. J’ai chanté pour lui Superstar, le tube qui avait rendu Karen Carpenter célèbre. Visiblement, ma prestation l’a satisfait, tant et si bien que je suis passée à l’étape suivante : des essais caméra à Los Angeles ! À la fois effrayée et stimulée, j’avais l’impression de vivre une situation digne du Hollywood des années 1940, quand les studios faisaient venir des débutants de tout le pays pour les évaluer. À ce stade, je n’étais pas très sûre d’avoir le rôle car nous étions encore nombreuses à le vouloir. Parmi mes rivales, il y a avait Linda Ronstadt », une vedette de la chanson du début des années 70. « Elle ne me laissait que peu d’espoir, je dois l’avouer. » Jessica Harper oublie de citer une autre fille sur les rangs : Sissy Spacek, dont Brian De Palma fera ensuite sa Carrie. Recalée du casting de Phantom of the Paradise, cette dernière y travaillera en tant qu’habilleuse. « Le soir de ma seconde audition, Brian de Palma m’a invité à dîner. Je me souviens que Martin Scorsese nous a rejoints. Autour de la table, il y avait d’autres réalisateurs pleins d’avenir. Ils appartenaient tous à la même bande, notamment Steven Spielberg que j’ai rencontré sur le tournage du film. De retour à New York, je n’ai attendu que deux ou trois jours le coup de fil qui devait m’annoncer si j’étais prise ou non. Lorsque Brian m’a dit : « Tu l’as ! », j’ai bien cru que le sol se dérobait sous mes pieds. Je savais que quelque chose de rare était en train de m’arriver ! » À 22 ans, pour sa première apparition à l’écran, Jessica Harper décroche un premier rôle.
BIENVENUE AU PARADIS
Pourquoi Jessica Harper et pas une autre dans Phantom of the Paradise ? Brian de Palma répond à la question : « Je l’ai choisie parce que je trouvais qu’elle restait très expressive en chantant, tout en étant filmée. Elle était exactement à l’opposé d’une Janis Joplin, de la fille un peu déglinguée qu’on s’attend à trouver dans l’univers du rock. Avant de la prendre, j’ai testé une quinzaine d’actrices et j’ai tourné des bouts d’essais avec dix d’entre elles. De plus, Jessica était adorable, douce, et sa voix remarquable. » Un peu rauque, en contradiction avec son physique. Le réalisateur offre enfin un visage et une silhouette à Phoenix, cette choriste qui entre dans le harem de la pop star Swa [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement