VIDEO (NOT) DEAD
Présent à Cannes en 2009 pour promouvoir le Inglourious Basterds de son copain Quentin Tarantino, Eli Roth se lamentait sur l’état, tristement délétère, du marché mondial de la vidéo, allant carrément jusqu’à prédire qu’« il n’y aura plus de DVD ou de Blu-ray d’ici quatre ans, tout passera par le streaming. » Dix ans plus tard, force est de constater que le tableau s’avère moins sombre que prévu, même si l’essor des sites de VOD et SVOD (Netflix, Amazon Prime, iTunes & consorts) truste, comme on pouvait s’y attendre, l’essentiel des parts de marché. Et si les supports dits « physiques » restent à la traîne, plusieurs éditeurs indépendants n’ont pas lâché le morceau en prenant en compte les demandes des cinéphiles, ceux-là mêmes qui continuent de consacrer une partie non négligeable de leur budget à l’achat des titres jugés indispensables à toute vidéothèque digne de ce nom. Apanage des pays anglo-saxons grâce aux efforts de firmes comme Arrow, Mondo Macabro ou Blue Underground, la mode du « collector de luxe » est en train de gagner la France depuis quelques mois, comme le démontre la recrudescence de petits éditeurs se lançant dans la production/distribution de galettes HD dont le contenu s’avère souvent aussi soigné que le contenant. Plutôt une bonne nouvelle lorsque l’on se souvient du temps où le consommateur hexagonal devait se contenter de Blu-ray techniquement douteux (transferts entrelacés, masters SD upscalés, montages coupés), alors qu’il existait parallèlement à l’étranger des disques de qualité (ce fut le cas pour Grindhouse, Take Shelter, Faux-semblants, The Strangers ou New York 1997). Sans parler des oeuvres de patrimoine comme Les Diaboliques ou La Règle du jeu, qui bénéficiaient outre-Atlantique d’un traitement plus respectueux que dans leur propre pays d’origine.
À LA NICHE
Il suffit de flâner dans n’importe quel grand magasin culturel – du moins dans ceux qui restent – pour constater à quel point la place autrefois allouée au cinéma s’est réduite comme peau de chagrin, loin du gigantisme des linéaires délirants de l’époque où la VHS, le DVD et le LaserDisc étaient encore des produits attractifs pour le public de masse (les clients du défunt Virgin Megastore des Champs-Élysées en savent quelque chose). Désormais limités à des rayonnages étroits ou de vulgaires stands promotionnels (deux DVD achetés, le troisième offert !), les disques n’ont plus la cote… sauf auprès des aficionados du 7e Art qui continuent d’arpenter les sites de vente en ligne ou les rares boutiques spécialisées toujours en activité, comme le Metaluna Store à Paris. Effectivement sur le déclin (des recettes en baisse de 10 à 15 % chaque année), le business de la vidéo physique a vu naître (et parfois mourir) un nombre non négligeable de sociétés indépendantes qui – à l’instar de Neo Publishing ou Uncut Movies – ont pour ambition commune de recréer un lien de confiance avec le consommateur en lui proposant des oeuvres « en marge » dans des éditions soignées. Un vrai challenge à une époque où même les gros succès du box-office peinent à trouver leur public en vidéo… « Les blockbusters ne font plus autant de vente qu’avant, c’est sûr, mais dans un marché de niche comme le nôtre, les ventes sont assez stables » explique Kévin Boissezon, cogérant d’Artus Films dont le catalogue en DVD/Blu-ray inclut aussi bien des péplums (Le Grand défi), que des thrillers (La Proie de l’autostop) ou des classiques de l’horreur (L’Au-delà). « Il y a quand même eu une baisse depuis notre création, mais le film de patrimoine se porte très bien en général. » Un sentiment que partage Olivier Bach, qui dirige depuis une quinzaine d’années Bach Films, une société familiale revendiquant pas moins de 1200 titres dans son catalogue : « Nous avons la chance d’être dans un circuit de niche et d’avoir une clientèle très fidèle, même si nous avons bien sûr subi une baisse des ventes DVD. ». Pour Jonathan Sayada (Éléphant Films), le succès dépend surtout de trois questions (« Quelle oeuvre ? Pour qui ? Et dans quelles conditions ? ») qui permettent aux professionnels de penser leurs produits en fonction des attentes d’acheteurs certes minoritaires, mais toujours plus exigeants.
« Le marché allemand est un peu mon modèle, car c’est un vrai marché de collectionneurs » avoue de son côté Christophe Cosyns, le patron de The Ecstasy of Films à qui l’on doit les disques de Torso, American Warrior II ou Zeder. Pas faux, quand on voit la manière dont les petits éditeurs germaniques redoublent d’énergie pour abreuver les boutiques d’une quantité astronomique de Blu-ray en tous genres, qu’il s’agisse de classiques absolus (Massacre à la tronçonneuse, carrément proposé en Ultra HD 4K), de longs-métrages inédits ailleurs en haute définition (Inside, Magic Magic) ou de DTV sans grand intérêt (Cut Shoot Kill). Digipacks (avec parfois trois covers différentes pour un seul titre !), bonus en pagaille et même des transferts en 3D concoctés spécialement pour l’occasion : outre-Rhin, tous les arguments sont bons pour appâter le chaland. Se voyant comme un « véritable couteau suisse », Cosyns tente d’ajouter sa pierre à l’édifice en multipliant les casquettes afin de compenser l’absence de collaborateurs : « Je suis directeur, je m’occupe du marketing et de la distribution, je suis chef de production sur l’authoring, je vérifie les jaquettes et je gère la page Facebook » avoue cet ancien de Neo Publishing passé au statut d’autoentrepreneur. « En gros, je suis le seul et unique employé. D’ailleurs, à mes débuts, quand j’apportais mes DVD à des revues comme Mad Movies ou Les Années laser, les gens me prenaient pour le commis alors que j’étais le patron ! » Au four et au moulin, Cosyns assume pleinement son rôle de « passeur de mémoire » cherchant à « préserver un certain patrimoine cinématographique français et international en distribuant des oeuvres cultes ou majeures, des titres mal aimés ou méconnus. » Avec tout ce que cela implique de négociations et de compromis pour dénicher des copies intégrales et/ou de qualité : « Mon travail me permet de corriger certaines injustices, comme ç’a été le cas avec La Marque du Diable qui n’était disponible qu’en version coupée. J’ai donc essayé de créer une édition uncut soignée, quelque chose de plus luxueux que ce qu’on trouve dans le commerce. ». Cocréateur du Chat qui fume (le sublime combo du Venin de la peur, c’était lui), Stéphane Bouyer confirme cette volonté de s’impliquer au maximum pour s’assurer du bon déroulement des opérations : « Dans des petites boîtes comme la nôtre, on fait beaucoup de choses nous-mêmes. On ne donne pas le matériel à un laboratoire en lui disant : « Voilà les éléments, vous vous démerdez pour nous faire un Blu-ray. ». On accompagne nos films du début à la fin : de l’achat des droits jusqu’à la sortie du disque. ».
En charge de la conception des éditions françaises de Suffering of Ninko et du diptyque Angel Terminators, Antoine Guérin voit l’état du business d’un autre oeil puisque son label, Spectrum Films, a pour but de défendre le cinéma asiatique dont le potentiel commercial s’avère plutôt restreint dans l’Hexagone, comme le démontrent les scores souvent anecdotiques des titres estampillés « Made in Asia ». Heureusement, la vidéo comble (un peu) ce vide, même si le marché reste assez fermé. « Le cinéma asiatique ne représente même pas 1 % des sorties en salles, et ces sorties se limitent soit aux films primés dans quelques grands festivals, soit à 2/3 films « phénomènes » » constate-t-il. « La mode du cinéma asiatique a duré dix ans puis s’est éteinte. Les choses se sont recentrées sur les cinéphiles et les amateurs. » Impossible en revanche de compter sur d’éventuelles ventes à l’étranger, puisqu’il n’a pas le droit d’inclure de sous-titres anglais ou de « dézoner » ses galettes pour écouler ses stocks : « La clientèle de Hong Kong hésite à acheter nos éditions, car nos Blu-ray sont en [...]
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