TUNNEL de Kim Seong-hun

Tunnel

Kim Seong-hun troque l’agitation frénétique de son polar Hard Day contre l’immobilisme forcé d’un malheureux enseveli sous les décombres de l’éboulement d’un tunnel. Et en profite pour dresser le portrait drôle et féroce d’une Corée du Sud gangrénée par l’indifférence et l’individualisme…

A priori, pas grand-chose à voir entre la journée de merde d’un flic victime d’un chantage après avoir renversé un quidam et un vendeur de voitures coincé dans l’éboulement d’un tunnel. Pas grand-chose, à part l’auteur-réalisateur Kim Seong-hun. Qui, pour ces deux histoires (la première est celle de Hard Day, son précédent effort, la seconde est donc celle de Tunnel), choisit un point de départ étonnamment similaire : un homme en voiture rejoint sa famille pour fêter l’anniversaire de sa fille, et BAM, le destin frappe. Et pas qu’un peu. Genre, le bon tombereau de merde capable de gâcher ou de redéfinir une vie. Mais si Hard Day et Tunnel démarrent sur des dynamiques très similaires, c’est pour évoluer vers des registres radicalement différents. Alors que le premier se la jouait polar sardonique tendu du slip et moralement très gris (un flic pourri y affronte un flic encore plus pourri que lui), le second oscille entre le survival souterrain (plutôt soft, on n’est pas non plus dans le manga Dragon Head) et le drame catastrophe mâtiné de critique sociale. Car si le film est centré sur l’isolement du pauvre Jung-soo (Ha Jung-woo, Mademoiselle), il passe une portion congrue de son temps à l’extérieur du tunnel pour scruter l’effet que la catastrophe a sur sa femme (Bae Doona, The Host), sur l’équipe de secours chargée de son sauvetage et, plus largement, sur l’ensemble de la société coréenne. Le drame d’un homme seul devient ainsi un miroir tendu aux instances médiatico-politico-industrielles, en raison de la singularité de son accident. En effet, le tunnel qui s’est effondré sur Jung-soo était de construction récente et n’a, comme le découvre l’équipe de secours, pas été conçu selon les normes en vigueur. Ce qui met en cause le gouvernement et les sociétés responsables des travaux, qui ont pourtant un autre tunnel en cours de construction non loin de là. Or, le dynamitage nécessaire à ce gros oeuvre met en danger Jung-soo, ce qui oblige l’interruption desdits travaux, qui va vite coûter une fortune aux entrepreneurs... Et les médias de se faire l’écho de l’opinion public, qui va peu à peu juger que les moyens investis et les risques encourus deviennent démesurés à mesure que l’espérance de vie de Jung-soo s’amenuise. Tunnel trouve tout son mordant dans cette lente mutation qui voit la mobilisation de toute une société désireuse de secourir un seul homme s’amenuiser peu à peu, jusqu’à muter en une hostilité froide. Là, le film se hisse brillamment au niveau de son évident et brillant modèle, Le Gouffre aux chimères (Ace in the Hole, 1951) de Billy Wilder, où un journaliste cynique incarné par un bouillonnant Kirk Douglas tentait de faire rebondir sa carrière en faisant de l’ensevelissement d’un malheureux au fond d’une mine un carnaval médiatique sans précédent. Et évoque également la verve énervée du Álex de la Iglesia de Un jour de chance (La Chispa de la vida, 2011), où un publicitaire raté cloué au sol par une barre enfoncée dans l’arrière du crâne transformait lui-même son calvaire en grand show TV pour subvenir aux besoins de sa famille... Dans les trois films, la focalisation de la masse sur le sort d’un individu révèle invariablement les travers d’une Humanité dont les capacités compassionnelles sont inversement proportionnelles à ses tendances au cynisme, à l’opportunisme et à l’indifférence. 



THAT’S ENTERTAINMENT !

Là où Tunnel se démarque de ses deux aînés, c’est dans la façon dont il oppose l’agitation extérieure aux épreuves subies par la victime isolée. De menus détails drolatiques sont ainsi mis en parallèle pour illustrer par l’absurde à quel point les acquis et convictions de tout un chacun peuvent être modifiés par le contexte. Par exemple, dans le tunnel, le gâteau d’anniversaire de la fille de Jung-soo, seule source de nourriture pour l’infortuné, est mangé par le chien d’une autre victime de l’éboulement. À l’extérieur, l’un des membres de l’équipe fait tomber au sol une galette de riz préparée par la femme de la victime, et s’empresse de la ramasser pour la manger, conscient de l’opulence dont lui et ses pairs jouissent alors même qu’ils tentent de prolonger la vie d’un homme en proie à la soif et la faim. De même, les subtiles réactions de Jung-soo, quand il doit partager ses maigres ressources avec sa compagn [...]

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