TSUI HARK

La sortie de Time and Tide en Blu-ray collector chez Carlotta fait partie de ces joies cinéphiliques qu’on ne peut manquer de célébrer comme il se doit. Nous avons donc décidé de rendre honneur à la turgescente versatilité de son réalisateur Tsui Hark avec une sélection de dix scènes inoubliables, tirées de l’une des filmographies les plus frappées qui soient.
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LA FUSILLADE DANS LE CIMETIÈRE 
DANS L’ENFER DES ARMES, 1980
Filmé avec une énergie furibarde, composé aussi bien de plans à la volée que de visions urbaines saisissantes inspirées par la déréliction ambiante, entrecoupé de scènes à l’image sale, de mauvaise qualité car censurées à l’époque et retrouvées miraculeusement sur bandes VHS usagées, sans cesse illustré d’une bande-son « empruntée » à de multiples scores ou même à des albums de Jean-Michel Jarre parce que fuck le copyright… Le troisième film de Tsui Hark, dans sa rare et précieuse version director’s cut, ressemble encore plus à un collage anarchiste que sa copie internationale dénaturée. L’Enfer des armes rebondit sur l’image finale provocatrice de Histoires de cannibales (1980), dans laquelle une villageoise offrait littéralement son coeur aux trois survivants, fraîchement arraché de sa poitrine, le sourire aux lèvres. Le film exulte de rage et de frustration contre une société hongkongaise pourrie de l’intérieur, contre sa jeunesse désoeuvrée, contre ses colons ineptes embourbés dans le trafic d’armes, ou même contre le public local qui ne réserve aux premiers longs-métrages de Tsui Hark qu’un accueil on ne peut plus poli. Dans la version du film pré-censure, trois étudiants en mal de sensations posent une bombe dans un cinéma, puis se retrouvent manipulés par la soeur d’un policier adepte de la violence sur animaux. En fin de parcours, les trois aspirants terroristes malingres n’arrivent même pas à se suicider collectivement. Les trafiquants d’armes les traquent dans le cimetière où ils se sont retranchés. S’ensuit un gunfight sec et rageur entre les tombes, avec la composition des Goblin pour la bande originale du Zombie en fond sonore. La mise en scène s’embrase pour retranscrire le nihilisme de la situation, sa surenchère de violence aveugle conclue par une rafale de balles assénée dans le vide et dans un rire dément, suivi de photos d’actualité du fait divers à l’origine du film. L’Enfer des armes démarrait dans le chaos, la boucle est bouclée. 






LA FUITE DE L’HÔTEL 
DANS
LE SYNDICAT DU CRIME 3, 1989
Sans doute l’un des films les plus mal-aimés de son auteur, déjà parce que sa préproduction marque le départ de la brouille entre Tsui Hark et John Woo ; parce qu’il s’éloigne assez drastiquement des deux épisodes précédents (le principal lien avec ces derniers réside dans la révélation pas spécialement attendue de l’origine du long manteau noir du personnage de Chow Yun-Fat) ; et enfin parce qu’il souffre cruellement de la comparaison avec Une balle dans la tête de John Woo. Les deux collaborateurs avaient entamé la production de ce troisième volet ensemble, se sont écharpés sur l’approche à adopter et Woo s’est carapaté pour produire sa vision de l’intrigue ailleurs, laissant Tsui Hark se dépatouiller avec ses coscénaristes. L’action se déroule à Saigon, dans les derniers soubresauts de l’interminable conflit vietnamien – la ville où Tsui Hark est né et a grandi jusqu’à ses 13 ans, qu’il a majoritairement connue en guerre. Sa description d’une cité rongée par la corruption et la violence ne dépareille que très peu de sa représentation de Hong Kong dans L’Enfer des armes. Hark a été élevé dans le chaos et ne s’épanouit au fond que dans celui-ci, autant dans les histoires qu’il raconte que dans la façon de les mettre en images. La parenté avec les deux précédents Syndicat du crime s’éveille en fin de film, lors d’un gunfight dont peine à s’extirper la regrettée Anita Mui. Chow Yun-Fat débarque opportunément en renfort, un M-16 dans chaque main, drapé dans son manteau iconique, défouraille bien comme il faut mais ne peut empêcher sa complice de se prendre une balle dans le dos, dans la grande tradition des héroïnes sacrifiées de Tsui Hark. Du coup, Chow Yun-Fat s’en va démastiquer un char à moto, une caisse de grenades à ses basques, comme l’exige la tradition. 




L’AUTEL DU GOUROU 
DANS LA SECTE DU LOTUS BLANC, 1992
En 1991, Tsui Hark relançait la mode des fresques historiques martiales avec le superbe Il était une fois en Chine, premier volet des nouvelles aventures cinématographiques de Wong Fei-Hong incarné avec un très étrange magnétisme asexué par Jet Li. Entre autres morceaux de bravoure, le climax final du film voyait le héros affronter le boss de fin dans une réserve en sautant d’une échelle à l’autre, dans une brillante démonstration de montage millimétré et de mise en scène au plein service de l’action. La séquence fut par la suite généreusement pillée par des réalisateurs bien moins inspirés, en tête desquels ce bon vieux coquin de Peter Hyams pour son très mauvais D’Artagnan. Écrite, tournée et produite en un an, la première séquelle, La Secte du lotus blanc, aligne des combats de tout aussi belle tenue, dont deux splendides affrontements Jet Li/Donnie Yen, et atteint son apogée au bout d’1h30 de film, lorsque Wong Fei-Hong rencontre le guide spirituel de ladite secte. Avant son arrivée, ses disciples lui bâtissent un autel de fortune – en fait, cinq tables carrées en bois empilées les unes sur les autres. Le gourou surgit d’une baie vitrée, bondit de partout et se hisse au sommet du monticule, d’où il défie Wong Fei-Hong de le rejoindre. Les esprits chagrins relèveront les plans où les mouvements câblés des protagonistes paraissent moins naturels, les spectateurs avec une âme ne pourront qu’être sidérés par l’efficacité de la scène, incroyable défi en termes de découpage, de mise en espace, de raccords infernaux, de rythme, sans oublier les prouesses physiques et chorégraphiques de tous les comédiens impliqués. Le principe de la scène s’annonce en préambule : le gourou ne doit pas chuter au sol – et Jet Li de détruire planche par planche l’édifice, d’acculer son adversaire sur les boucliers de ses hommes ou sur une toile, avant de s’empaler sur une statue de la divinité qu’il vénérait. Le message est éloquent. 




LA MÉTAMORPHOSE DE SERPENT VERT ET SERPENT BLANC
DANS GREEN SNAKE, 1993

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