Toute première fois N°302

Derrière le miroir

Si l’on se réfère à sa filmographie, Nicholas Ray n’aurait jamais réalisé de film fantastique. Mais si l’on considère que tout est une question de perspective, l’impeccable Derrière le miroir peut aisément se regarder comme une version contemporaine particulièrement incisive de Dr Jekyll et M. Hyde.
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Derrière le miroir est l’histoire d’une chute, celle d’un individu pressurisé par son environnement, d’un homme malade, d’un quidam se débattant avec les affres du manque, d’un illuminé voulant en découdre avec l’autorité de Dieu. Quitte à dessouder son marmot. Mais ce drame « bigger than life » (titre original du film) décidément pas comme les autres est aussi l’histoire de ce cinéaste, Nicholas Ray, une tête de mule cherchant à tout prix son indépendance au sein des studios hollywoodiens. En résumé : actions suicidaires, claquages de porte, compromis, engueulades et révolte. Nic l’utopiste a mené une carrière chaotique jalonnée de produits de commande et d’oeuvres beaucoup plus personnelles. Un formaliste de génie qui jongle avec ses héros paumés et écorchés vifs, que ce soit des cowboys dans un saloon, des flics dans la nuit, des hommes dans la guerre ou des jeunes dans la tourmente de l’adolescence. Avec Johnny Guitare (1954), Ray féminise le western. Avec Les Amants de la nuit (1948), il confère une hauteur tragique et inattendue au film noir. Même topo quand il filme, dans le désert de Libye, l’affrontement entre le lâche Curd Jürgens et le révolté Richard Burton. Amère victoire (1957), film de guerre rugueux ou pamphlet humaniste ? Les deux mon capitaine ! Quant à La Fureur de vivre (1955), il est désormais inutile de le présenter. Avec ce dernier, Ray scelle définitivement le mythe James Dean, s’interroge sur la jeunesse en crise tout en dérivant sur fond de poésie cosmique. Dans 50 ans de cinéma américain, l’éminent Bertrand Tavernier décrit Nicholas Ray comme le peintre des vaincus à la recherche d’une raison d’être, d’un sens à la vie. Il n’avait pas tort, Bertrand. D’ailleurs, Derrière le miroir reflète on ne peut mieux le fond de sa pensée.

CADRE IDÉAL

Ed Avery (James Mason) est un mari aimant et un instituteur pas si bien payé que ça. Surtout, il est inconsciemment en quête de ce que l’on nomme plus communément « rêve américain ». Ed galope après le bonheur. Ou plutôt ce qui semble être le bonheur. Avec sa femme et son fils, il habite un pavillon de banlieue comme il doit en exister des milliers, des millions. Il joint les deux bouts en faisant des heures supplémentaires pour une compagnie de taxi. Le prix à payer pour espérer s’inscrire dans la norme en vigueur. Chez les Avery, tout est parfaitement et trop bien rangé. Au milieu du salon trône une télévision. Le réfrigérateur est bien rempli. Chaque objet est à sa place et aucun poil ne dépasse. Ray s’en donne à coeur joie et d&eacut [...]

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