Toi toi mon trash !
JOHN WATERS
Le seigneur des crados
« Le titre de Pape du Trash, je crois que je l’ai bien cherché » avoue John Waters, pas mécontent que le surnom lui ait été attribué par William Burroughs. « Pape du trash, Prince du Vomi et Roi du Mauvais Goût » en rigole-t-il, de la même manière qu’il se marre au rappel des critiques les plus incendiaires tombées sur Pink Flamingos (1972). Exemple : « L’explosion d’une fosse septique donnerait un effet identique. ».
Qui aurait imaginé pareil forfait de la part d’un ancien « marionnettiste dans de petits spectacles pour enfants » ? Mais, tout gamin, John Waters sort déjà du rang. « À choisir, j’aurais préféré que ce soit William Castle qui me prenne sur ses genoux pour une photo plutôt que le Père Noël ! » William Castle, ce Hitchcock de la série B tendance « train fantôme ». D’ailleurs, devenu réalisateur, John Waters s’inspire de ses « gimmicks » pour mettre au point les dix pastilles à gratter de l’Odoroma, procédé qui accompagne Polyester (1981) d’odeurs de pizza, colle, godasses puantes et autres chaussettes sales. « Quand je ne regardais pas les films de William Castle, je lisais les romans de William Burroughs, plutôt que les poèmes d’Allen Ginsberg chers aux hippies. J’étais autre chose qu’un hippie… J’ai ensuite rencontré Burroughs à New York. Il m’a invité dans des soirées délirantes, remplies de gens étranges. » Des excentriques, des fous, des artistes déjantés, des junkies, des marginaux, des provocateurs… Une faune interlope à la Jean Genet, un autre de ses écrivains de chevet. « Jean Genet m’a sauvé la vie, en m’indiquant quelle direction je devais prendre. Il m’a considérablement influencé. Sa notion de « beauté du crime » se trouve au coeur même de Polyester. Genet m’a permis de m’assumer, de me dispenser de frayer avec des gens que je n’aimais pas. » Un mentor en somme, à l’instar de Burroughs et Castle.
« Les gens de Baltimore, la ville où j’ai grandi, m’ont à ce point marqué qu’ils ont déteint sur mes personnages » ajoute Waters à la liste de ceux qui comptent dans la maturation de sa sensibilité. « Des désaxés, des cinglés, des drogués, des délinquants qui traînaient dans les rues. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. On ne trouve plus guère à Baltimore que des obèses, des personnes barrées, incapables de comprendre pourquoi les gens normaux ont quitté la ville. Ils pensent être sains d’esprit, mais ils sont vraiment loin de l’être. » Des cas, John Waters en rencontrera bien d’autres encore, sur toute l’étendue des États-Unis, qu’il sillonne en auto-stop. Des milliers de kilomètres au compteur mais, à la case départ, il revient toujours. À Baltimore, où il situe pratiquement tous ses scripts.
« Partout, j’allais voir des films d’auteur européens dans les salles d’Art & Essai, des séries B dans les doubles programmes des quartiers louches. Ne trouvant parfois pas à Baltimore ce que je recherchais, j’allais jusqu’à New York. En 1966, je me suis même retrouvé à l’avant-première de Chelsea Girls d’Andy Warhol. » Face à l’écran blanc, John Waters se rend à l’évidence que le 7e Art est à sa portée, qu’il n’est pas nécessaire de grenouiller dans le grand bain hollywoodien pour y accéder. Partout, dans le pays, des indépendants fauchés et plus ou moins doués se sont déjà lancés : Herschell Gordon Lewis, Russ Meyer, Doris Wishman… Des modèles à suivre. « Des copains dévoués, quelques pages de scénario, une petite caméra et on s’y mettait. » D’abord sur des courts-métrages, ensuite des longs, douze de 1969 à 2004, les premiers autofinancés avec l’aide des parents, les derniers produits par New Line, Imagine (la société de Brian Grazer et Ron Howard), Canal+… « Je prends l’argent que me tendent les gens prêts à me soutenir. Pas question pour autant de me vendre. Je fais mes films. Pas ceux des autres. » Entre autres Pink Flamingos, Desperate Living, Polyester, Hairspray, Cry Baby, Serial mother, Cecil B. Demented… Il y dirige ses pittoresques comédiens fétiches (le travesti poids lourd Divine, l’édentée Edith Massey, Mink Stole…), un prometteur jeune premier (Johnny Depp), une ex-hardeuse adolescente en pleine rédemption (Traci Lords), une otage passée du côté obscur de la force (Patty Hearst), des vedettes confirmées (Kathleen Turner, Melanie Griffith), une rock star (Iggy Pop)… Belle brochette d’interprètes aux antipodes les uns des autres, toutefois rassemblés à la faveur d’une oeuvre qui s’attaque aux fondations de l’American Way of Life, crache d’épais glaviots à la gueule de l’establishment, tandis que les étudiants américains se soulèvent contre la Guerre du Vietnam… Ce n’est pas un hasard si John Waters se manifeste au début des seventies, contestataire en marge d’un Nouvel Hollywood qui le tient prudemment à distance.
Dans ses brûlots foutraques, il est question de la guerre menée par des lesbiennes contre un potentat libidineux, du concours de la famille la plus dégueulasse de la planète, de l’adultère d’une mégère obèse mariée à un gérant de cinéma porno, d’une respectable mère de famille doublée d’une tueuse, d’un cinéaste si radical qu’il kidnappe une star dans le but de tourner un pamphlet anti hollywoodien… « Je me suis assagi avec les années » admet John Waters en 1990, à l’époque de Cry Baby. « On ne bouffe plus de la merde de chien dans mes films. Je n’ai plus la rage que j’avais à 20 ans. À plus de 40, je me couvrirais de ridicule en essayant de l’entretenir. Désormais, je ne cherche plus à tout pervertir. En revanche, mon message reste le même. Je dis toujours : « Ne laissez personne vous dicter votre vie, votre conduite. Chassez de votre existence les nuisibles, les cons et les jaloux ! Soyez vous-mêmes. Imposez votre mauvais goût ! ». » À grand renfort de scènes crapoteuses, d’humour poisseux, de provocations vociférées sans précaution et de protagonistes évadés d’un asile d’aliénés ou sortis des eaux stagnantes d’un marigot, John Waters inscrit même son « mauvais goût » dans les histoires du cinéma. « Selon moi, il est l’expression des indépendants. Le bon goût appartient aux réactionnaires, aux conformistes, aux malfaisants. Moi, je suis pour le bon mauvais goût, qui joue de toute la répulsion et de tout l’attrait du mauvais goût. Je ne ris pas du mauvais goût, je ris avec lui ! »
Marc Toullec (Propos recueillis par l’auteur)
YOSHIHIRO NISHIMURA & NOBORU IGUCHI
Les Cous(s)ins Pèteurs
Ils tournent vite et pas toujours très bien. Dans une urgence totale, ils emballent des séries Z sales et insolentes (souvent sous la bannière Sushi Typhoon, une émanation – aujourd’hui en stand-by – de la respectable Nikkatsu) qui cartonnent à l’export et font la tournée des festivals spécialisés internationaux (avec happenings dénudés des réalisateurs à chaque projection). Plus conscient qu’il n’en a l’air, leur cinéma s’est adapté aux attentes des amateurs occidentaux du « Japan Trash », obéissant à un cahier des déviances qui mise tout sur le déballage gore à tendance old school/latex et l’érotisme soft façon sailor fuku (uniforme scolaire – NDR). Techniquement, le résultat est souvent à la ramasse (filmage en vidéo dégueulasse et SFX numériques très cheap), mais la débilité des concepts est si ouvertement revendiquée – et ce dès l’intitulé de leurs titres – qu’elle finirait presque par emporter notre adhésion. Presque. Car au sein de cette clique artistiquement consanguine composée de Yoshihiro Nishimura (Tokyo Gore Police, Helldriver), Yûdai Yamaguchi (Meatball Machine, Deadball), Noboru Iguchi (The Machine Girl, Dead Sushi) et consorts (citons pour la forme Tak Sakaguchi), il est quand même difficile de fixer son choix. Si le cerveau de la bande reste Nishimura-san, son expérience dans le domaine des effets spéciaux (il a notamment travaillé avec Sono Sion sur Suicide Club, Exte : Hair Extensions et Cold Fish) et ses références plurielles (Suehiro Maruo et Go Nagai pour le manga, Salvador Dali pour l’art surréaliste et le Buto – une danse moderne japonaise d’avant-garde – pour le… euh… allez savoir !) le plaçant un cran au-dessus de ses joyeux collègues, le profil provocateur et régressif de Noboru Iguchi a également de quoi affoler notre trasho-mètre. Clairement obsédé par les « choses du corps », Iguchi échafaude dans son coin une filmographie traversée d’oeuvres perverses et scatophiles, où fluides et flatulences se disputent le haut de l’affiche dans un déluge de couleurs acidulées très pop friendly. Cette fascination organique, cousine évidente des saillies craspecs d’un Frank Henenlotter et du style neo-eroguro du mangaka Shintaro Kago, est également à relier au passif de réalisateur pornographique d’Iguchi, qui réalisa une bonne dizaine (?) d’AV (Adult Videos – NDR), dont plusieurs à tendances uro-scatologiques. Facile, dès lors, d’identifier les racines profondes de certains films comme Zombie Ass : Toilet Of The Dead ou F is For Fart (son segment pour The ABCs of Death), dans lesquels l’orifice anal est définitivement la superstar.
Fausto Fasulo
PAUL BARTEL
Le Talent Qui Gratte
Une silhouette familière aux allures d’expert-comptable excentrique, dont on peut s’amuser à repérer les petits rôles à l’arrière-plan de dizaines de films indépendants américains, et notamment des premiers efforts de Joe Dante : le moniteur de colo dans Piranhas, c’était lui. Comme son ami Dante, Bartel fait en effet ses classes dans l’écurie Roger Corman, producteur pingre et sourcilleux en matière de quota fesse/violence mais souvent ouvert aux idées délirantes et aux discours libéraux. Notre Paulo peut ainsi transformer une banale histoire de course automobile en une satire féroce, où ne manque même pas l’apparition d’un Sylvester Stallone pré-Rocky. Vous avez bien sûr reconnu La Course à la mort de l'an 2000 (Death Race 2000, 1975), organisée par une société futuriste dictatoriale qui distrait les masses avec un jeu télé dont les points se comptent en nombre de piétons écrasés. Un gag désopilant entre mille : les patients séniles d’un hôpital sont placés sur la trajectoire d’une bagnole qui déboîte in extremis, préférant plutôt faucher une troupe d’infirmières ! Tourné l’année suivante, Cannonball donne du thème une version plus réaliste et désabusée, toujours avec David Carradine en vedette. En revanche, Lust in the Dust (1985) est une parodie de western italien assez laborieuse, malgré l’abattage de Divine, l’égérie transgenre de John Waters.
En fait, la veine la plus personnelle du cinéaste se situe du côté de la comédie macabre, menée sur un inimitable ton pince-sans-rire. Cela éclatait dès son tout premier long-métrage, Private Parts (1972), qui brodait de singulières variations sur Psychose. Une naïve provinciale s’installe dans un hôtel désert et suranné de Los Angeles, hanté par des personnages loufoques cachant de sombres secrets. La finesse de l’écriture et un sens inné des trouvailles bizarroïdes sont déjà là, mais le chef-d’oeuvre de l’auteur demeure sans conteste Eating Raoul (1982). Bartel lui-même et sa muse Mary Woronov y incarnent un couple à la fois esthète et terriblement puritain, se désolant de ses problèmes financiers alors que les dollars semblent couler des mains de partouzeurs bruyants. Ils décident donc de les assassiner un à un après les avoir attirés [...]
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