THE THIRD DAY DE DENNIS KELLY & FELIX BARRETT

En six épisodes « classiques » et une diffusion live de 12 heures, la série The Third Day, visible en replay sur OCS, a redéfini la folk horror, le format sériel et la notion de performance, tout en relevant un défi de taille : extirper Jude Law du désert hollywoodien pour le transformer en divinité monstrueuse et faillible, totem de 2020.
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Sur le papier, la proposition avait déjà remporté la bataille stratégique de la curiosité. Aux postes de créateurs/showrunners pour cette coproduction entre HBO et la chaîne anglaise Sky, The Third Day affiche un binôme constitué de Dennis Kelly et Felix Barrett. Le premier a attiré l’attention mondiale avec la série conspi gore Utopia, remakée récemment aux USA par l’autrice Gillian Flynn sur un mode pop (et donc en contresens complet avec sa rugosité formelle d’origine, où la violence des couleurs vives n’était qu’une façade piégée). Le second a fondé la compagnie théâtrale Punchdrunk en 2000, et n’a cessé de repousser les limites de son medium au fil des créations, avec pour mantra : « Si le public s’habitue aux règles, changez-les ». Le credo de Punchdrunk s’articule autour du concept d’immersion, dans des proportions que n’aurait pas reniées le personnage de Philip Seymour Hoffman dans Synecdoche, New York. Pour leur réinterprétation de Macbeth, Sleep No More, Barrett et sa troupe ont en effet investi les cinq étages et les 9000 mètres carrés d’un immeuble new-yorkais abandonné. Le spectateur était libre de suivre le parcours narratif de la pièce, ou de flâner à sa guise et de converser avec l’un des ses innombrables personnages. À peine moins ambitieux, The Crash of the Elysium n’était ni plus ni moins qu’un épisode live de Doctor Who réservé aux enfants de 6-12 ans (les adultes étaient autorisés à l’extrême condition d’être accompagnés d’un enfant), où une visite d’exposition consacrée à la disparition d’un navire victorien se transformait en combat pour la survie de l’Humanité, avec des apparitions du Docteur de l’époque (Matt Smith) et de ses meilleurs antagonistes après les Daleks, les Anges pleureurs. Chaque nouvelle création est pensée comme une refonte intégrale de l’exercice théâtral à part entière. Lorsque Punchdrunk s’aventure dans le domaine de la publicité pour grands groupes, il en va de même, en partie pour combler la perte d’âme impliquée par l’exercice. Jude Law a connu Felix Barrett sur les bancs de l’école, a suivi l’activité de la compagnie avec assiduité, et a fait savoir à son ancien camarade son envie de collaborer avec Punchdrunk. « Mais oui, bien sûr » s’est dit Barrett, sans illusion sur les promesses d’une star de ce calibre. C’était compter sans la détermination du comédien. Piégé depuis une bonne décennie dans des productions hollywoodiennes inodores, incolores, aseptisées comme jamais, Jude Law ronge visiblement son frein. Sa performance dans la première saison de The Young Pope, la série de Paolo Sorrentino, ou ses éclats de colère dans le foutraque Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur de Guy Ritchie laissaient percevoir une frustration et une envie d’ailleurs. Le bougre allait être servi. 




DEEP BLUE OSEA
Son personnage dans The Third Day coche à cet égard toutes les cases du rôle purement performatif. Un père de famille qui n’arrive pas à se remettre de la perte de son fils, en proie à des épisodes de détresse psychotique, dont le séjour sur le lieu du drame sera émaillé d’événements à même de concocter un délicieux mille-feuille traumatique. Il commence son chemin de croix par le sauvetage inopiné d’une jeune fille fraîchement pendue, confronte des locaux pour le moins ambigus dont les réponses allusives le renvoient à ses propres secrets. Coincé sur place, il picole, ingère sans le vouloir des psychotropes, hallucine des rituels d’apparence païenne. De ses premières scènes à ces furies nocturnes, un changement opère. Jude Law n’avait tout simplement pas été aussi bon depuis son incarnation de proto Pascal Praud dans le Contagion de Steven Soderbergh, il y a presque dix ans. Son visage, enfin débarrassé du lissage numérique hideux des Animaux fantastiques, laisse apparaître ses creux, ses aspérités. Son regard trahit une vie intérieure beaucoup trop bouillonnante. Sa maladresse, lorsqu’il se réveille aux [...]

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