THE NEON DEMON de Nicolas Winding Refn

The Neon Demon

Après la preview du précédent numéro, l’heure du verdict a sonné. Le « film d’horreur sans horreur » de Nicolas Winding Refn a livré ses secrets, et c’est un drôle d’animal, aussi déceptif qu’envoûtant, toujours prompt à séduire le spectateur pour mieux le frustrer par la suite.

On a beau savoir que Nicolas Winding Refn est d’une sincérité absolue lorsqu’il clame son amour du cinéma d’horreur, la propension du Danois à toujours prendre nos attentes à rebrousse-poil plaçait forcément The Neon Demon, sa première incursion « officiellement » horrifique, dans une zone grise et à risque. C’était déjà le cas de son précédent film, Only God Forgives, récit mélancolique d’un homme castré et impuissant qui avait calmé les ardeurs des fans de Drive. Une fois de plus, Refn préfère explorer une voie de traverse, celle d’une errance cauchemardesque, contemplative et hypnotique qui ne verse jamais totalement dans l’horreur pure, mais y baigne pourtant pleinement. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’un calcul commercial fomenté pour ne pas effrayer les kids et les ménagères. Simplement, là où on aurait pu s’attendre à un déluge d’excès graphiques de la part d’un cinéaste guère effrayé par le gore et la violence, nous avons droit à une balade cotonneuse et insidieuse dans un Hollywood rendu exsangue par l’artificialité et le conformisme. Cette balade, c’est celle de Jesse (Elle Fanning), une superbe jeune fille de 16 ans qui débarque à Los Angeles afin de devenir mannequin. Remarquée par une directrice d’agence (la sculpturale Christina Hendricks) et un célèbre photographe (Desmond Harrington), elle est propulsée dans un univers qui lui est inconnu où elle fait la connaissance de la maquilleuse Ruby (Jena Malone). Mais derrière cette success-story se cachent de sombres forces qui vont se mettre en branle…

Il y a de fortes chances pour que, au moment où défilera le générique final deThe Neon Demon, vous soyez déboussolés. Il faut dire que la chose cherche continuellement à échapper aux catégorisations de toutes sortes. Pourtant, sa narration est limpide, sans être classique pour autant. Car The Neon Demon prend un temps infini avant de dévoiler sa nature, Refn instaurant une sorte detension négative en retardant au maximum la révélation de l’identité réelle des protagonistes. The Neon Demon doit donc plus être vu comme une illustration dark pop du rêve hollywoodien qui confronte un personnage d’une pureté virginale aux pièges de la tentaculaire Los Angeles. Une Los Angeles hantée par une faune dangereuse, d’un photographe mutique et inquiétant à un tenancier de motel pédophile (Keanu Reeves, génial de dangerosité), en passant par des mannequins refaites des pieds à la tête et déjà inquiètes pour leur espérance de vie professionnelle à 20 balais. L’occasion pour le Danois de décrire un microcosme obsédé par le paraître, attiré par la superficialité et l’immédiateté. Il est donc aisé de superposer au monde du mannequinat celui du cinéma, et d’obtenir ainsi un portrait de Refn lui-même, venu à Hollywood avec l’envie de proposerun cinéma pur, mais se heurtant à une industrie factice hantée par des parasites et des manipulateurs qui, dans l’ombre, se repaissent littéralement du talent d’autrui pour assurer leur propre longévité. Un parallèle d’autant plus tentant que le cinéaste multiplie les publicités pour faire vivre sa famille entre chaque projet risqué, et connait donc bien cet univers clinquant et aveuglant. Qu’il transforme ici en un monde de ténèbres et de sacrifices par touches impressionnistes, puisqu’il entrecoupe l’ascension à la fois pure et arrogante de Jesse de séquences dont la crudité et l’étrangeté viennent ponctuer l’hyper-stylisation du film de déchirures inquiétantes (la scène du puma dans le motel) ou tétanisantes (la mémorable séquence de nécrophilie). C’est d’ailleurs l’un des partis pris les plus culottés de The Neon Demon que de se raconter à travers des images à l’esthétisme ciselé et baroque-chic qui brouillent la frontière entre réel et onirisme pour mieux exploser lors de passages au langage cinématographique plus direct. Et si l’ambiance baignée de couleurs primaires étouffantes rappelle – en plus des expérimentations de Kenneth Anger (éternelle muse du Danois) et d’une foultitude d’autres influences plus ou moins bis (La Féline, Looker, Jess Franco, et on en passe) – les heures les plus criardes du Dario Argento de Suspiria, ce ne sont pas les déchaînements gore du cinéaste italien que retient en premier lieu Refn, mais sa façon d’utiliser la caméra comme le révélateur d’une réalité duale. Ici, qu’on pense au lent travelling arrière d’ouverture qui enclot en lui-même tout le propos du film ou à ce panoramique partant d’un décor totalement blanc pour révéler la réalité froide et sans âme d’un studio photo, Refn s’ingénie à dévoiler la vacuité de l’imagerie hollywoodienne actuelle, sensationnelle et vide, pour y superposer la sienne, sensorielle, presque primitivement tribale, qui pulse tel le sang dans les veines au rythme d’un score electro sensationnel de Cliff Martinez. Dans The Neon Demon, le vernis de la modernité visuelle ne parvient jamais à dissimuler des pulsions primales et sauvages (ce qui fait du film une version intériorisée et pscyhé du Showgirls de Verhoeven). C’est peut-être la raison pour laquelle le cinéaste convoque fréquemment les fantômes du Hollywood d’antan, que ce soit via une rétroprojection old school ou l’architecture d’une villa héritée de Boulevard du crépuscule. Mais cette nostalgie n’a rien d’innocent, puisque Refn lie ainsi sa « méchante », véritable sorcière vénérant d’occultes puissances, à une tradition de gourous satanistes qui ont pullulé dans la Los Angeles des années 60. Derrière lamélancolie d’une époque révolue, le Mal a toujours été là, tapidans ces collines paradisiaques, si proches du temple du rêve.
Refn le dit lui-même : il n’a nullement l’intention de travailler avec les studios et continuera de mettre sur pied des projets indépendants. The Neon Demon peut donc être vu comme le manifeste d’un cinéaste pleinement attaché à son art et qui crache définitivement à la gueule de l’industrie qui a tenté de l’absorber. Le Danois prend une nouvelle fois le risque de s’aliéner public et critiques en livrant un objet fétichiste qui raconte son histoire par l’image et ne cède à aucune des facilités du genre dans lequel il prétend s’inscrire. Un risque qui s’av&egr [...]

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