THE JANE DOE IDENTITY d’André Øvredal

The Jane Doe Identity

The Jane Doe Identity a tout du film-concept trompeur dont raffolent la plupart des festivals de cinéma fantastique. Un décor unique (ou presque), deux personnages centraux (ou trois), une réappropriation d’un genre donné (ou de plusieurs)… Confrontant deux médecins légistes aux blessures incohérentes d’une jeune inconnue, le film aurait pu être un divertissement malin, mais André Øvredal lui apporte une densité thématique surprenante.
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Signé Ian B. Goldberg et Richard Naing, qui se sont croisés sur le trip nostalgique Dead of Summer, le script de The Jane Doe Identityrepose sur un concept étrangement inédit : jusqu’à preuve du contraire, la figure du médecin légiste n’avait jamais porté un long-métrage en entier, la plupart des scénaristes préférant y voir un outil narratif commode. Une visite chez le coroner permet généralement d’extraire l’intrigue d’une impasse, grâce à la découverte d’un indice ou d’une preuve. Dans The Jane Doe Identity, c’est tout le contraire qui se produit : plus les légistes mettent leurs observations en perspective, et moins elles semblent rationnelles. Passionnant, l’argument attire rapidement André Øvredal, porté disparu depuis Troll Hunter en 2010. Comme il l’explique dans l’interview qui suit, le cinéaste s’était retrouvé piégé par son emploi du found footage, qui lui avait valu d’être contacté pour des dizaines d’autres productions du même genre. L’ironie est d’autant plus amère que les principales qualités de Troll Hunter tenaient surtout à sa caractérisation et son creature design, le cahier des charges du documenteur ne faisant qu’alourdir son propos, tout en rendant son action variablement lisible.

Même s’il s’amuse à insérer des plans vidéo intradiégétiques issus d’une caméra braquée sur la table d’autopsie, The Jane Doe Identity constitue donc pour Øvredal une rupture stylistique violente. Le cinéaste semble bien décidé, cette fois-ci, à dénouer son drame grâce à d’authentiques dispositifs de mise en scène, et n’attend pas de s’enfermer dans la morgue pour épouser la sensibilité de ses figures de proue. Factuelle et contemplative, l’ouverture détaille une scène de crime sans le moindre affect, l’enchevêtrement des plans appelant à un vrai raisonnement scientifique. Le shérif qui déambule à travers la demeure est lui-même désincarné, apparaissant souvent en ombre chinoise ou en contre-jour au-dessus d’impacts de balles et de cadavres ensanglantés. Le dialogue se contente également de poser les problématiques du récit, via une suite de constatations et de questions auxquelles devront répondre les légistes, superbement interprétés par Brian Cox et Emile Hirsch.

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Passée cette ingénieuse introduction, The Jane Doe Identityprésente un défi de mise en scène rare. Øvredal doit en effet parvenir à animer une situation désespérément fixe : deux personnages debout pendant une heure autour d’une table d’autopsie. Stratège, le cinéaste commence par délimiter l’espace de la morgue, une série de longs travellings exposant la géographie des lieux tandis que les lumières s’allument les unes après les autres, guidant pas à pas le spectateur. Ce microcosme sous-terrain est symbolisé par un miroir circulaire, qui englobe les couloirs dans une bulle déformante, cachée du monde extérieur. Longue d’une minute, cette visite guidée mène à la présentation des deux protagonistes, dont l’imperméabilité éclate immédiatement. Indifférents au cadavre calciné qu’ils sont en train d’inspecter, Tommy Tilden et son fils Austin tranchent dans le vif, prélèvent des tissus, découpent des vertèbres, pèsent des organes, photographient leurs recherches, crayonnent leur tableau et réservent leurs trophées au son d’une musique rock entraînante. Øvredal en rajoute dans les détails anatomiques, accumulant les effets gore avec froideur, du moins sans le moindre gimmick ostentatoire. Le cinéaste a vraisemblablement saisi l’enjeu stylistique qui sous-tend l’ensemble du projet : la profession des héros consistant à fouiller dans la chair à longueur de journée, impossible d’épouser la rythmique du cinéma de trouille conventionnel. Le crescendo attendu se retrouve même inversé dans The Jane Doe Identity : puisqu’on nage dès l’ouverture dans une tripaille clinique, le cinéaste va être amené à s’éloigner à mi-parcours d’une horreur graphique stéréotypée. Une fois le corps de l’inconnue éponyme cadré sous toutes ses coutures (y compris intérieures), Øvredal emprunte des chemins beaucoup plus atmosphériques, en isolant ses deux protagonistes avec une cruauté que ne renierait pas Stephen King.

Si elle n’est pas sans conséquence (la révélation finale fait par exemple l’objet d’une conversation interminable, induite par la quête de vérité des Tilden), la démarche esthétique d’Øvredal n’est certainement pas innocente. À l’heure où les séries TV grand public exposent cadavres décharnés et torrents d’hémoglobine tout en demandant au public de s’intéresser en priorité aux ébats de leurs têtes d’affiche, le rapport à la mort de The Jane Doe Identity est, sans trahir l’essence du genre, sacrément responsable. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur le choix de filmer le cadavre d’une jeune femme nue comme un personnage à part entière, et sur la manière dont les sévices endurés par la mystérieuse victime se répercutent sur ses observateurs. Sans jamais tomber dans une morale de bas étage, Øvredal en tire une remarquable métaphore sur le voyeurisme et l’exploitation du corps.

Alexandre Poncet 


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