THE DUKE OF BURGUNDY de Peter Strickland

The Duke of Burgundy

Après un BERBERIAN SOUND STUDIO qui rendait hommage au giallo de façon à la fois satirique et envoûtante, l’imprévisible Peter Strickland s’attaque maintenant aux arcanes d’un couple sadomaso avec un nouveau long-métrage… à la fois satirique et envoûtant !
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À vous de choisir dans quel ordre vous voulez subir les derniers outrages, en attendant ou pas d’avoir vu The Duke of Burgundy pour lire cet article. Car il est bien difficile de parler du film sans révéler certains points essentiels, qui tiennent tout entiers dans ce proverbe bien connu des amateurs de SM : « Le problème avec les soumis, c’est qu’il faut toujours s’en occuper. ». Une jeune femme d’aspect timide se présente chez une dame altière qui lui intime l’ordre de faire le ménage, avant d’adopter un comportement de plus en plus abusif. Or, rien n’est jamais aussi simple dans une oeuvre jouant à plein de l’ambiguïté cinématographique, qui peut parfois amener à reconsidérer entièrement le sens des événements montrés à l’écran. Contre toute attente, on découvre donc que la pauvrette a l’air d’habiter chez sa patronne, et une scène située en apparence le lendemain semble reprendre l’histoire à zéro, en présentant exactement la même situation, les mêmes mots. En effet, le scénario est avant tout axé sur la répétition de scènes quasi identiques, dont les menues différences nous font comprendre petit à petit que cette singulière relation est en fait le fruit d’un jeu de rôles dicté par une « bonniche » qui n’est peut-être pas si soumise que cela…

Sauf que résumer les choses ainsi (le lieu commun voulant qu’à sa manière, l’esclave volontaire domine aussi sa maîtresse, et vice et versa), c’est à la fois tout dire et ne rien dire. L’important réside dans le traitement du thème par le réalisateur Peter Strickland, qui avait déjà rodé une approche très originale dans son précédent long-métrage, l’excellent Berberian Sound Studio. Ce dernier voyait un ingénieur du son, appelé dans l’Italie des années 70 pour la postproduction d’un film d’horreur, sombrer peu à peu dans la folie à cause des maléfices des images. Et le résultat s’orientait vers une satire féroce des artisans du cinéma bis, mais aussi vers un trip cauchemardesque à l’issue duquel le personnage passait de l’autre côté du miroir. On retrouve ce double mouvement dans The Duke of Burgundy, où entre deux moments poignants (voir en particulier la manière dont, le temps de quelques regards perdus, la sidérante actrice Sidse Babett Knudsen parvient à exprimer tout le désarroi d’une femme mûre craignant d’être quittée par sa jeune amante), le comique latent des situations finit souvent par éclore. Par exemple, difficile de ne pas éclater de rire quand la vraie-fausse soubrette, censée être forcée de cirer les bottes de sa souveraine, s’impatiente et frappe au carreau de la fenêtre pour presser la domina de venir manifester son courroux !

Par ailleurs, les couleurs chaudes de la photographie, la beauté des décors, le raffinement extrême des costumes, les étonnants extérieurs hongrois où le film a été tourné, tout concourt à dessiner un monde aussi intemporel (pas de téléphone portable, ni même de voiture à l’horizon) que spatialement insituable. Et dans cet écrin somptueux, l’impression de répétition hypnotique de la même journée débouche sur une atmosphère onirique et envoûtante, soulignée par divers artifices technique : zooms lents et insidieux, visages dédoublés par des reflets sur les vitres, etc. Mais là encore, les choses vont bien plus loin qu’une simple recréation du cinéma érotique des années 70 sur un mode arty et un peu chichiteux. Déjà, The Duke of Burgundy est marqué dès ses toutes premières images par l’omniprésence des insectes, dont la fonction semble cependant complètement mystérieuse. En effet, il ne s’agit pas vraiment d’une métaphore, encore moins d’un élément explicatif. Même si l’auteur s’écarte pas mal de cette hypothèse dans l’entretien qui suit, on serait plutôt tenté de dire que nous avons ici affaire à une sorte de signe indéchiffrable par lequel l’écho du drame en cours se répercute sur un plan quasi cosmique.

De plus, l’étrangeté imprègne aussi le rôle joué par les insectes dans le quotidien des personnages, ces dames combinant le fétichisme tout court avec un intérêt presque aussi obsessionnel pour les papillons, à propos desquels elles vont écouter des conférences données devant un parterre 100 % féminin. Dans cette réalité rétro, on pense d’abord à de riches ménagères qui tuent le temps en s’adonnant à un hobby intello. Mais de la m [...]

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