THE ASSASSIN de Hou Hsiao-Hsien
The Assassin
Somptueux. Visuellement somptueux. C’est ainsi qu’apparaît The Assassin à un spectateur d’emblée terrassé par la beauté absolue des cadrages (qui ressuscitent en grande pompe le vieux format standard presque carré), des couleurs, des paysages (oh, ce monastère accroché au flanc d’une montagne), des décors intérieurs, des costumes, etc. Mais le plus fort est que, pour autant, l’ensemble sera finalement tout sauf un joli livre d’images glacées ou un défilé de mode hautain. C’est que le réalisateur Hou Hsiao-Hsien, en s’attaquant de manière inattendue au film de sabre traditionnel, n’a rien perdu de son goût pour les très longs plans, qu’il semble couper au point exact où l’émotion a atteint son apogée secrète. Cela éclate dès la deuxième séquence, montrant les jeux innocents d’un quelconque seigneur et de son très jeune fils. La tueuse Yinniang (Shu Qi, dont la grave intensité confine au sublime), qui assistait à la scène cachée dans la charpente, renonce ainsi à massacrer la famille entière. Et quand elle rejoint plus tard la nonne lui octroyant ses « contrats », celle-ci lui déclare que, si sa technique de sicaire est irréprochable, son coeur est encore trop flexible.
Mais une technique parfaite et un coeur qui bat, c’est en revanche l’idéal pour un réussir un film, ce qu’on ne cessera de vérifier par la suite. En guise de mise à l’épreuve, Yinniang se voit en effet chargée de la mission la plus difficile de toutes : assassiner son cousin Tian Ji’an, l’amour de sa vie, dont elle a été la fiancée avant que la perspective d’un mariage politique ne pousse sa famille à l’écarter, en la confiant aux bons soins de la nonne-exécutrice… Bref, les complexes intrigues de palais inhérentes au film de sabre seront ici toujours inextricablement mêlées aux enjeux sentimentaux, comme le résume le beau monologue de la mère de Yinniang à propos des deux jades. Ces derniers symbolisent à la fois le serment d’amour rompu et la relation entre le pouvoir central et la province éloignée de Weibo, dont Tian Ji’an est le gouverneur turbulent, tenté de se retourner contre les troupes impériales. C’est donc reparti pour des scènes d’espionnage où la tueuse à gages épie des discussions stratégiques ou quotidiennes, mais cette fois dissimulée derrière les tentures qui quadrillent l’espace intérieur. Le prix de la mise en scène remporté par The Assassin à Cannes doit en effet sans doute beaucoup à ces plans-séquences, littéralement stupéfiants, où les personnages sont observés à travers un ou plusieurs rideaux semi-transparents qui se balancent et se soulèvent au gré des souffles d’air.
Néanmoins, ces plans ne représentent pas seulement le paroxysme de la maîtrise du cinéaste : ils sont l’image-même d’un film dont le déroulement, à l’instar des rideaux, semble constitué d’une infinité de plis et de replis. Déjà, les rares scènes de combat, parfois montées très court, sont comme des accrocs dans le rythme contemplatif du récit. Mais au creux de l’histoire que nous esquissions plus haut, on trouve aussi de riches sous-intrigues, comme celle où l’épouse de Tian Ji’an, jalouse de la grossesse d’une concubine, tente de l’éliminer. Une ligne narrative qui assure en outre l’intrusion du fantastique au sein d’un univers de réalisme scrupuleux : l’empoisonnement de la concubine se fait au moyen d’une figurine magique plongée dans un tonneau, dont le pouvoir maléfique est ensuite propagé – dans un tout autre endroit – par l’eau débordant d’une margelle… En dépit de son austérité apparente, The Assassin taille ainsi sa route avec une liberté folle, soulignée par l’irruption inopinée de nouveaux personnages. Ce sont une autre tueuse masquée et vêtue de noir, sans doute envoyée par la nonne pour surveiller Yinniang, ou encore ce sabreur inconnu qui surgit dans la forêt pour prêter main forte aux héros. De ce dernier, on ne saura rien, sinon qu’il est peut-être japonais (il est incarné par un acteur nippon) et qu’il est crédité au générique comme « Le polisseur de miroirs ».
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