TERMINATOR 2 – LE JUGEMENT DERNIER 3D de James Cameron

Terminator 2 – le jugement dernier

Les cinéphiles nés après 1991 ne saisissent probablement pas l’importance de Terminator 2 dans l’évolution du paradigme hollywoodien. Galvanisé par le phénomène de société qu’avait provoqué le Batman de Tim Burton deux ans plus tôt, le mastodonte de James Cameron acheva de redéfinir la manière de concevoir et de marketer un bon blockbuster. Mais T2 avait pour lui un atout imparable vis-à-vis de la concurrence : c’était, d’un point de vue strictement artistique, un pur chef-d’oeuvre. Vingt-six ans plus tard, Cameron a décidé de donner une seconde jeunesse à son film matriciel, via une conversion 3D exceptionnelle…
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Redécouvrir Terminator 2 sur grand écran, dans une stéréoscopie incroyablement pointilleuse, est une expérience étrange, entre le voyage dans le temps cinéphile et la vision d’un avenir qui ne s’est jamais pleinement concrétisé. En 1991, T2 était à la fois un accomplissement et une promesse. Un accomplissement pour son auteur, passé durant les six années précédentes des bricolages inventifs de Terminator et Aliens aux moyens quasi illimités d’Abyss. Frustré par l’échec relatif de son joyau sous-marin, Cameron avait vu en Terminator 2 l’occasion d’allier les ambitions techniques titanesques d’Abyss à une mythologie commercialement viable. Jonglant entre le « show » et le « business » avec un équilibre insensé, cette séquelle d’un « petit » film culte aura remporté la bataille sur tous les fronts, mettant à genoux des spectateurs incrédules via des morceaux de bravoure révolutionnaires, atomisant le box-office mondial (1). La promesse de Terminator 2 ? Celle d’un nouveau standard d’exigence au sein de la machine hollywoodienne, les cinéastes devant dès lors se comparer aux tours de force en 35 mm de Cameron. Certains auteurs ont saisi la balle au vol : Steven Spielberg avec Jurassic Park, John McTiernan avec Une journée en enfer, Paul Verhoeven avec Starship Troopers, Peter Jackson avec Le Seigneur des Anneaux. Cameron de son côté, a continué d’élever la barre, dans un premier temps avec le triple climax sidérant de True Lies, puis avec son Titanic à l’ampleur indétrônable. Libérées par Abyss et T2, les technologies numériques ont certes commencé à se démocratiser, mais ont hélas envahi l’industrie sous l’impulsion de producteurs opportunistes, désireux de profiter de la méthode Cameron à peu de frais. La Menace fantôme accéléra le mouvement en 1999, Lucas commandant à ILM près de 2200 plans… contre à peine 150 dans Terminator 2. Dix ans plus tard, Cameron finit par embrasser ce torrent numérique avec Avatar, toutefois avec un perfectionnisme inédit, et encore aujourd’hui à des années-lumière du niveau d’exigence des grands studios…



UN ANTIDOTE
Faisant ressortir des détails jadis anecdotiques (et gommant quelques défauts inhérents aux techniques d’alors, en remplaçant notamment le visage voyant d’un cascadeur par celui d’Arnold), la copie stéréoscopique de Terminator 2 permet de redécouvrir le long-métrage avec un regard neuf, et d’apprécier ses qualités narratives, formelles et tonales comme au premier jour. Conclusion logique d’une décennie où les réalisateurs ont été relégués au rang de prestataires anonymes par des producteurs tout puissants, alors que l’année 2017 nous a assommés avec des pétards aussi creux et bruyants que Pirates des Caraïbes 5, Spider-Man Homecoming, Transformers : The Last Knight ou Valerian, T2 fait figure d’antidote à la fois anachronique et franchement visionnaire. La structure du récit, grande lacune des productions hollywoodiennes les plus récentes, est ici d’une précision chirurgicale, en particulier un premier acte qui virevolte d’une trajectoire dramatique à l’autre avec un sens du point de vue éloquent. Il faut noter, pour s’en convaincre, cette coupe de montage abrupte au milieu des explications du docteur Silberman, Cameron décidant soudain d’accompagner une Sarah Connor haletante dans sa cellule. Puissant.


MOTEURS DRAMATIQUES
Grâce à un nouveau mixage splendide, les idées de Cameron pour compenser l’aridité des dialogues sont elles aussi encore plus payantes qu’il y a 26 ans : durant la poursuite à travers les canaux de Los Angeles, le son de chaque véhicule sert objectivement de voix au personnage qu’il transporte. Bâtie sur une chorégraphie virtuose, où des lignes perpendiculaires se brisent jusqu’à ce que le T-800 parvienne enfin à rattraper son adversaire (instant gravé par une incroyable cascade en moto), cette scène époustouflante est également un chapitre dramatique majeur. Il en va de même du triple-climax (une figure obligatoire chez Cameron) dont la seconde partie s’impose, avec le recul, comme l’une des scènes les plus suicidaires jamais entreprises dans un film d’action. Les mouvements erratiques de l’hélicoptère du T-1000 par-dessous les échangeurs de Los Angeles donnaient déjà le tournis à l’époque ; la 3D les rend vertigineux, l’absence de subterfuge permettant d’apprécier comme jamais le dévouement du pilote. Ajoutons qu’au milieu des pirouettes les plus dangereuses, ce dernier vide ses chargeurs sur les héros et inversement, tandis que leur fourgon se fraie un chemin à travers la circulation. En live…


GIGANTISME INTIME
Paradoxalement, la plus grande réussite de cette conversion 3D est de renforcer l’intimisme de Terminator 2. Outre la présence herculéenne de Schwarzenegger, qui ressort de l’écran comme une statue grecque (2), il se dégage surtout une sensation de proximité assez troublante, par exemple lorsque John Connor et le T-800 discutent sous un pick-up, où lorsque Sarah tente d’abattre Miles Dyson devant sa famille. Soutenu par une musique sourde et mélancolique de Brad Fiedel, T2 opère comme une sorte de rêve éveillé, saisissant en temps réel des moments fugaces dans la nuit de Los Angeles (les liens avec les films à venir de Michael Mann sont évidents), quand il ne capture pas des visions d’apocalypse transcendées par la nouvelle profondeur de champ. Le cauchemar nucléaire à mi-parcours reste encore aujourd’hui l’une des pièces maîtresses de l’oeuvre de Cameron, et insuffle au dernier acte de Terminator 2 un bouillonnement émotionnel et une urgence à vous écraser sur votre fauteuil. Après tout, le cinéma devrait aspirer à cela en toute circonstance…

(1) T2 remporta 520 millions de dollars en salles, soit l’équivalent d’1,2 milliard aujourd’hui.
(2) Une scène d’Arnold en particulier appelait une conversion en 3D : celle où John Connor lui fait jurer sur sa Harley de ne plus jamais tuer personne. Le regard caméra est encore plus évident ici, la star s’adressant non pas au jeune garçon, mais bel et bien à son public. Le fait qu’il détruise les genoux d’un pauvre gardien dans la séquence suivante est d’autant plus hilarant.

 

JAMES CAMERON ET LA 3D
LA TRAVERSÉE DE L’ÉCRAN

James Cameron rêvait-il de tourner des films en 3D à l’adolescence ? On peut en douter, les souvenirs du maître se portant plus volontiers sur les visions en Dynamation de Ray Harryhausen. En réalité, la révolution stéréoscopique menée vingt années durant par un Cameron obsessionnel fut presque lancée par accident, grâce aux rêveries opportunistes d’un jeune scénariste de la Cannon…

En 1988, James Cameron obtient enfin un budget correspondant à ses visions titanesques ; hélas, les recettes timides d’Abyss menacent de freiner son envol hollywoodien. Terminator 2 apparaît dès lors comme un rempart : l’aura culte du film original a de quoi rassurer les investisseurs, et Cameron avait laissé de côté de nombreuses idées en 1984, idéales pour une séquelle. Trop occupé à gérer les effets visuels révolutionnaires d’ILM, les animatroniques avant-gardistes de Stan Winston et les cascades suicidaires de Gary Davis et Joel Kramer, le cinéaste n’a pas le temps de s’attarder outre mesure sur les techniques de prises de vues et de projection. Comme il l’avait fait pour Abyss, Cameron pense au mieux à anticiper l’exploitation vidéo du long-métrage : il choisit en effet de tourner au format Super 35, permettant de retirer les caches du Cinémascope pour révéler plus d’image en haut et en bas sur une copie télécinéma. En 1991, la 3D est encore une très lointaine préoccupation pour le réalisateur, les deux vagues de films stéréoscopiques (durant les années 50 et au début des années 80) n’ayant fait que noyer le regard du spectateur dans un océan de gimmicks ringards. Les rares prototypes ambitieux (Le Météore de la nuit ou L’Étrange créature du lac noir de Jack Arnold) furent quant à eux desservis par des techniques de projection approximatives et des lunettes anaglyphiques au rendu abominable.


LE BONHEUR EST DANS LE PARC
Face à Terminator 2, New Line Cinema tente ironiquement d’attirer le chaland en tournant le climax de La Fin de Freddy – l’ultime cauchemar en 3D, sans succès. Peu concerné par le format, Cameron continue sur sa lancée et prépare un remake de La Totale, une comédie de Claude Zidi découverte durant la promotion européenne de T2. Alors que les prises de vues approchent, il reçoit un appel de MCA/Universal. Nous sommes en décembre 1992, et un certain Gary Goddard, scénariste des Maîtres de l’univers chez Cannon, aurait passé les derniers mois à développer un projet d’attraction inspirée de Terminator 2. Celle-ci pourrait, avec les approbations nécessaires, être installée dans les parcs Universal. Tremblant, Goddard rencontre Cameron chez MCA, dans une pièce aux murs décorés de dizaines de story-boards et designs préliminaires. Un traitement de trente pages est présenté à l’auteur. Dans le numéro 68 de Cinefex datant de décembre 1996, Goddard se remémore son stratagème pour éveiller l’intérêt de Cameron : « Nous savions que Jim aimait les nouvelles technologies, et nous lui avons dit que ce projet lui permettrait de repousser les limites de la 3D. Nous espérions qu’il soit intrigué par l’opportunité d’explorer un nouveau médium… » Écoutant silencieusement l’exposé de Goddard (il envoie d’ailleurs paître un cadre d’Universal qui tente de s’immiscer dans la conversation), Cameron mord à l’hameçon. Mieux, il fait comprendre à l’assemblée qu’il garde un droit de véto sur tous les choix créatifs. En d’autres termes, il veut s’impliquer activement dans le projet.


PLUIE DE DOLLARS
Dans les faits, Cameron prend les rênes et commande à Goddard un script revu et corrigé. Il s’assure aussi la participation d’Arnold Schwarzenegger, Robert Patrick, Linda Hamilton et Edward Furlong ; une première dans le genre. D’attraction annexe, T2 3D : Battle Across Time devient la priorité d’Universal, et son budget explose. On parle de 60 millions de dollars pour une quinzaine de minutes, alors que T2 en avait coûté 102 dans son ensemble. Reste à régler la question de la stéréoscopie. Le premier réflexe de Cameron avant de repartir sur True Lies est d’engager le plus grand spécialiste en la matière, Peter Anderson, qui a développé pour les parcs Disney plusieurs attractions majeures : Magic Journeys en 1982, Captain EO de Coppola et Michael Jackson en 1986, et Muppet*vision 3-D en 1991. Pendant un an, Anderson s’arrache les cheveux aux côtés de Digital Domain (la nouvelle compagnie VFX de Cameron) sur les défis de T2 3D. Le premier : parvenir à aligner correctement la projection stéréoscopique sur trois écrans géants, qui devront se partager la diffusion du court-métrage, puis donner vie au tentaculaire T-1.00 [...]

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Commentaire(s) (1)
decebe
le 09/09/2017 à 07:46

Excellent article. Merci Alexandre.

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