Supplément Mad Max : Fury Road
Mad Max: Fury Road
HISTOIRE ET PROPAGATION D’UN FANTASME
Jamais complétisme n’aura été aussi viral. Des quelques images de tournage volées par des badauds égarés sur un plateau définitivement « métal hurlant » à la dernière bande-annonce ouvrant des perspectives mythologiques encore inexplorées dans les premiers trailers, Mad Max : Fury Road s’est imposé – avant son grand dévoilement mondial – comme une pure histoire d’affolement. Un jeu de piste virtuel quasi sans précédent (Star Wars hors concours), un puzzle fantasmatique dont chaque pièce glanée çà et là sur le Net (spots télé taïwanais, bande-annonce japonaise, extrait de la musique originale, etc.) permet d’obtenir un détail inédit, un morceau d’univers encore vierge, un axe révélateur (?) auquel on peut greffer prédictions, affirmations et interprétations plus ou moins délirantes. Ainsi, avant même d’être projeté sur grand écran, Mad Max : Fury Road tourne en boucle dans nos têtes, innervant notre imaginaire de décharges traumatiques déjà diagnostiquées en 1979 et 1981, dates de sortie des deux aventures fondatrices de Max Rockatansky. Une préparation frustrante, un entraînement un peu crispant, ou une sorte d’antichambre avant la chevauchée libératrice. Mais tout cela va bien au-delà d’un quelconque réflexe passéiste convoquant avec paresse des fétiches rock’n’roll immédiatement identifiables par les seuls initiés : George Miller est un explorateur en quête de dangers, pistant les défis techniques les plus monstrueux et évoluant sans cesse – et nous avec – hors de sa zone de confort. À la dégénérescence du blockbuster contemporain, rongé par l’obsession pyrotechnique, la standardisation visuelle et le cynisme postmoderne, il répond par un torpillage des codes esthétiques et narratifs en vigueur à Hollywood, imposant dès lors ce qui pourrait sonner comme une vraie « révolution » dépassant l’étiquette du genre. Certes, le mot pèse très lourd, mais il est celui qu’on espère hurler à pleins poumons à la sortie de ce Fury Road.
Fausto Fasulo
GEORGE DU DÉSERT
« THE MASTERMIND GEORGE MILLER ». AINSI L’AUTEUR DE MAD MAX : FURY ROAD EST-IL PRÉSENTÉ À LONGUEUR DE BANDES-ANNONCES ; BELLE IRONIE QUAND ON SAIT À QUEL POINT SA CARRIÈRE FUT MALMENÉE PAR LES STUDIOS HOLLYWOODIENS, ET EN PARTICULIER LA WARNER.
Contraint de mettre sur pied un blockbuster grand public avec Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre en 1985, suite à l’investissement massif de capitaux par la major, Miller vit deux ans plus tard un cauchemar en coulisse des Sorcières d’Eastwick, où seule la loyauté de sa star Jack Nicholson l’empêchera d’être renvoyé manu militari par ses producteurs. Après un bref retour dans son Australie natale, le temps de produire (et officieusement, de coréaliser) le fabuleux Calme blanc, Miller retente sa chance aux États-Unis avec Lorenzo, superbe thriller thérapeutique qui se solde, hélas, par un échec commercial cinglant. Alors qu’il produit (et là encore, coréalise officieusement) Babe, le cochon devenu berger en 1995, le cinéaste développe en parallèle un projet de science-fiction incroyablement ambitieux, Contact. Le script attirant l’attention de Robert Zemeckis, un nom autrement plus prestigieux, la Warner parvient à écarter Miller du projet, en échange des droits rétroactifs de la saga Mad Max.
À LA GUERRE COMME À LA GUERRE
C’est comme par hasard à cette époque que l’artiste annonce pour la première fois son intention de relancer sa saga, cette fois-ci en 3D, près de quinze ans avant le triomphe d’Avatar. Tout en réalisant Babe, le cochon dans la ville, le film animalier le plus fou, opératique et anti-commercial de l’Histoire du cinéma, Miller commence à gratter la surface de Mad Max : Fury Road, que doit un temps produire la 20th Century Fox. Obligé de jeter l’éponge à plusieurs reprises, il se rabat sur Happy Feet, une fausse comédie musicale animalière et un vrai pamphlet écologiste d’une cruauté rare, qui marque la réconciliation tant attendue entre Miller et la Warner. Impressionnées par son anticonformisme et sa virtuosité, les têtes pensantes du studio lui confient l’un des projets les plus complexes de son histoire : Justice League, rencontre maintes fois ajournée entre Superman, Batman, Wonder Woman, Green Lantern et Flash. Si le scénario, dont certains aspects annoncent le Avengers de Joss Whedon, emballe DC, les prévisions budgétaires évaluées à 300 millions de dollars refroidissent les investisseurs.
Privé de Justice League, Miller voit une fenêtre s’entrouvrir pour Fury Road, mais des conditions météorologiques imprévues en Australie le poussent à honorer le contrat qui le lie à Happy Feet 2. Profitant de cette séquelle très expérimentale pour s’essayer à la stéréoscopie, Miller a désormais toutes les cartes en mains pour orchestrer dignement le grand retour de Max Rockatansky. Après deux films d’animation en images de synthèse, le cinéaste prend le parti de tourner le long-métrage le plus analogique possible, dans la chaleur du désert de Namibie, avec des cascades inédites par centaines etdes trucages numériques réservés à une portion réduite du film, en particulier une homérique tempête de sable.Employant des techniques de prise de vues complètement folles, qui le voient prendre part aux courses poursuites invraisemblables du long-métrage, Miller chorégraphie avec Fury Road une scène d’action quasi ininterrompue de deux heures, dont la violence et la folie pourraient bien, en cas desuccès, révolutionner de fond en comble le modèle hollywoodien. Face aux reports et abandons successifs, beaucoupauraient jeté l’éponge. Pas George Miller, qui voit en ces concours de circonstances un moteur artistique à partentière, une manière d’approfondir encore un peu plus sa vision d’origine. « L’un des avantages des différents retards et du fait d’avoir tourné plusieurs longs-métrages avant de revenir à Fury Road » note le cinéaste, « c’est que j’ai pu développer l’univers du film au-delà de ce que j’avais envisagé au départ. En évoluant, le design a influencé le langage même du projet. Nous avons dû créer l’écologie humaine du Wasteland, au milieu de laquelle trône le Seigneur de Guerre Immortan Joe. Il fallait une certaine échelle pour faire de lui une figure tyrannique convaincante, donc nous avons eu besoin d’un certain nombre de véhicules. L’ampleur de cette flotte a déterminé le nombre de scènes de courses poursuites dont nous avions besoin, et ainsi de suite. À un moment, je me suis rendu compte que le projet était beaucoup plus gros que ce que j’avais imaginé, mais c’était sa nature. C’est l’échelle dont le film a besoin, un point c’est tout : toutes ses composantes se sont imposées de façon extrêmement organique. » Comme toute oeuvre d’art compulsive et obsessionnelle, Mad Max : Fury Road semble bien avoir dicté sa loi à son propre créateur…
Alexandre Poncet
CHAOS & K.O.
MAD MAX, C’EST AVANT TOUT UN UNIVERS VISUEL SAUVAGE, UNE ATMOSPHÈRE PERVERSE, UN TON CORROSIF ET UNE NARRATION TRÈS PEU VERBEUSE. RETOUR SUR UN STYLE UNIQUE DANS L’HISTOIRE DU CINÉMA, QUE PROMET DE RESSUSCITER FURY ROAD.
George Miller vous le dira lui-même : avec Mad Max, il n’a pas inventé la roue. « Le fait que l’univers de Mad Max soit entré dans l’inconscient collectif et ait inspiré de nombreux autres films reflète l’évolution naturelle de notre culture. Regardez les compositeurs classiques, ils n’ont cessé de s’emprunter des thèmes et de travailler à partir des motifs de leurs voisins. Les grands artistes ont souvent basé leur travail sur une peinture iconique de leur temps, en particulier dans le domaine de l’art religieux : ils l’ont retravaillée et réinterprétée selon leur propre style. » Des traces évidentes de la mythologie Mad Max, on en trouve aujourd’hui dans le cinéma et le jeu vidéo, dans les comic-books, les séries télévisées et même dans quelques romans célèbres (La Route de Cormac McCarthy, par exemple). Néanmoins, la saga trouve elle-même ses racines dans des classiques de la littérature SF (Je suis une légende de Richard Matheson, La Planète des singes de Pierre Boulle) et plus globalement dans le genre du western, dont il propose une vision sans compromis, voire décadente. On a d’ailleurs tendance [...]
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TTC
le 11/05/2015 à 05:41Franchement, la seconde bande annonce est fantastique, et le jeu de références avec Battle Royal n'augure que du meilleur...