Récemment, dans les colonnes du Guardian, l’interprète de C-3PO Anthony Daniels ne mâchait pas ses mots sur sa collaboration avec George Lucas. « George a beaucoup changé au fil des années, et je crois qu’il était de plus en plus difficile pour lui de collaborer. Il a pris des décisions qui, à mon avis, auraient dû être débattues avec d’autres personnes. » Il suffit de regarder la prélogie Star Wars pour acquiescer. Le couperet de Daniels tombe néanmoins lorsqu’il ajoute ceci : « J.J. est beaucoup plus collaboratif. Il aime écouter. Très tôt, nous avons compris qu’il allait revenir à un style de tournage à l’ancienne. Nous avions des murs en face de nous, de vrais décors ! Bon, d’accord, nous n’avions pas toujours une vue à travers la fenêtre… Mais nous avions une fenêtre ! » En coulisse, tout le monde s’accorde à défendre la vision d’Abrams, ironisant volontiers sur les épisodes I, II et III, fabriqués majoritairement en postproduction au détriment des performances d’acteurs. On aurait pu rire jaune : comme il l’a admis récemment, Lucas envisagea il y a quelques années de tourner cet Épisode VII lui-même, avant de vendre son empire à Walt Disney Pictures.

NOUVEL EMPIRE

2012 marque un grand tournant dans la carrière de Lucas. Peu après l’annonce de son départ en semi-retraite, l’auteur de THX 1138 confie discrètement les clefs de Lucasfilm Ltd à Kathleen Kennedy, fidèle productrice de Steven Spielberg. En public, Lucas ne cache pas sa rancoeur vis-à-vis des fans de Star Wars, dont il apprécie peu les remontages de ses films. « Pourquoi devrais-je faire d’autres épisodes quand tout le monde me hurle dessus et me traite de personne horrible ? » demande le cinéaste, prétendant ainsi qu’il se tiendrait à jamais éloigné de La Guerre des étoiles. La réalité est tout autre. En secret, Lucas attaque un traitement de trois films situés trente ans après les évènements du Retour du Jedi, et rencontre individuellement Mark Hamill, Carrie Fisher et Harrison Ford pour les convaincre de participer au projet. Cette triple signature pèsera énormément dans la balance lors des négociations de vente déjà entamées avec Disney. Pour retranscrire ses traitements en scénarios à part entière, Lucas engage le scénariste de Toy Story 3, Michael Arndt. Le 30 octobre 2012, l’annonce du rachat de Lucasfilm fait grand bruit. Contre environ 4 milliards de dollars, dont la moitié en cash, le groupe aux grandes oreilles acquiert la franchise, mais persuade également Lucas de ne pas remonter au front. Si Arndt poursuit son travail sur le script, le studio part en quête d’un nouveau réalisateur, et doit essuyer les refus de David Fincher, Brad Bird… et de J.J. Abrams. Devant l’insistance de Kathleen Kennedy, ce dernier finit par adhérer à sa cause. Il tente dans un premier temps de réorienter le script d’Arndt, qui pour lui met trop peu à l’honneur les héros de son enfance. Dans une impasse, Arndt est finalement remercié et se voit remplacé par Abrams lui-même, un an et demi à peine avant la sortie prévue du film, calée pour mai 2015. Parallèlement, un braintrust s’est formé à Lucasfilm pour chapeauter le nouvel univers étendu (la trilogie littéraire de Timothy Zahn et tous les récits liés sont désormais reniés). La politique de Lucasfilm et Disney se rapproche de celle, payante, de l’univers Marvel, et la production de films Star Wars secondaires est bientôt lancée. Vétéran de la saga (il a écrit L’Empire contre-attaque et Le Retour du Jedi, mais aussi le premier Indiana Jones, cf. portrait), Lawrence Kasdan est contacté par Kennedy au début des années 2010, et se voit proposé l’un de ces longs-métrages additionnels. Il choisit d’écrire sur la jeunesse de Han Solo, son personnage favori, mais doit bientôt mettre le projet en pause. Et pour cause : Abrams l’appelle au secours pour le scénario d’Épisode VII. Repartant à zéro, au grand dam d’un Lucas qui prend définitivement ses distances avec le projet, les duettistes tentent de convaincre Disney de repousser la sortie d’un an. Ils gagneront finalement huit mois, reprenant ainsi le créneau hivernal qui a tant réussi au Seigneur des Anneaux et à Avatar. 

BOÎTE À MYSTÈRE

Ironiquement, Kennedy annonçait début 2013 son intention de ne pas entourer la production d’un secret compulsif. C’était compter sans l’arrivée de J.J. Abrams et de sa société Bad Robot, ici coproductrice, dont le contrat impose une politique sécuritaire à tous les étages. Le principe de la « Mystery Box », qui guide depuis toujours la carrière d’Abrams, se voit poussé à son paroxysme. Pendant des mois, aucune photo ou info officielle ne filtre sur Le Réveil de la force. Tout juste a-t-on droit à une photo noir et blanc de la première lecture du script et quelques énigmatiques annonces sur Twitter. Rien de très excitant, jusqu’à ce qu’un site de ragots mette la main sur une vingtaine de photos d’espion, prises sur le plateau du film à Abou Dabi. Si le look global fait exploser de joie les fans, Abrams est furieux et fait encore renforcer son système de surveillance. Manque de chance : des concept arts fuitent sur la Toile, de même que des révélations sur le script que les cinéphiles avisés se garderont bien de traquer. Ainsi, en cherchant bien, il est tout à fait possible de connaître toutes les grandes lignes du Réveil de la force avant sa sortie. Mais cela soulève un vrai débat, auquel participeront de nombreux sites d’information en ligne et une poignée de cinéastes sur les réseaux sociaux. James Gunn monte notamment au créneau, en félicitant Slash Film et Badass Digest pour leur retenue éditoriale. « Ils ont agi comme des êtres humains en refusant de publier des spoilers sur Star Wars » note le cinéaste, qui entretient une relation très proche avec ses fans (voir ses séances de Q&A en direct sur Facebook), tout en s’efforçant de préserver le mystère autour des Gardiens de la galaxie 2. « Malheureusement, je suis tombé sur ces spoilers. Quiconque a refusé de les publier a gagné mon respect éternel. Si vous aimez les films, il faut nous aider à les aimer encore davantage, plutôt que de nous priver de notre plaisir. J’aime être surpris au cinéma. Taxez-moi un rêveur si vous le souhaitez, mais le journalisme de cinéma doit aller au-delà du simple scoop. » On ne l’aurait pas mieux dit.

FOISONNEMENT DE PERSONNAGES

Nous préférerons nous concentrer sur les informations officielles, et tenter d’étudier le point de vue thématique du projet. Si un aspect du Réveil de la force frappe instantanément, c’est bien son avalanche de personnages : la pilleuse d’épaves Rey (Daisy Ridley, aperçue dans quelques séries TV anglaises), le Stormtrooper repenti Finn (John Boyega, héros d’Attack the Block), le pilote de X-Wing Poe Dameron (Oscar Isaac, virtuose dans Inside Llewyn Davis), l’admirateur de Dark Vador Kylo Ren (Adam Driver, costaud romantique dans la série Girls)… Ajoutez à cela le Captain Phasma (chargée de traquer le déserteur Finn), le général Hux (grand patron de la mystérieuse base Starkiller), le Supreme Leader Snoke (successeur de Palpatine campé en performance capture par Andy Serkis, et dont le look est à la limite de la classification R), un vieux sage interprété par Max von Sydow, une extraterrestre incarnée par Lupita Nyong’o, un nouveau droïde circulaire du nom de BB8, sans oublier Han, Che [...]