SPLIT de M. Night Shyamalan

Split

Trois gamines kidnappées par un dingo ayant 23 personnalités différentes : le sujet est alléchant, mais il cache en fait une oeuvre très noire où le récit d’apprentissage cher à l’auteur du Village se brise sur des récifs désespérés.
Array

À l’origine de Split, il y a peut-être bien cette scène de Psychose d’Alfred Hitchcock : en ombres chinoises dans l’encadrement d’une fenêtre, le réceptionniste de motel incarné par Anthony Perkins se dispute avec sa mère. Sauf qu’on découvrira plus tard que celle-ci est morte, et que le jeune homme pousse la schizophrénie jusqu’à être périodiquement habité par l’esprit supposé de sa génitrice. Une image similaire est visible dans le nouveau long-métrage de Shyamalan, quand trois lycéennes se retrouvent enfermées dans un cachot après avoir été enlevées par un inconnu. Par le trou de la serrure, on aperçoit les pieds d’une femme discutant avec le ravisseur, avant de comprendre que l’homme s’est travesti pour palabrer avec une autre partie de lui-même. Mais le principe des identités multiples (« split personalities » en anglais) est ici déplié presque jusqu’à l’infini, puisque ce sont près de deux douzaines de psychismes distincts qui peuvent tour à tour passer aux commandes d’un seul corps. Vous lirez ainsi beaucoup de choses sur l’incroyable prestation de l’interprète du kidnappeur, James McAvoy, qui réussit quelques tours de force comme incarner un individu à l’âge mental de 9 ans, ou encore jouer une personnalité qui tente de se faire passer pour une autre auprès d’une thérapeute. Et aussi sur la virtuosité de la progression dramatique, voyant la plus futée des trois captives essayer de déterminer quelle « version » de son geôlier va être devant elle à tel moment précis, afin d’échafauder des plans d’évasion. Cependant, le plus important est peut-être la manière dont ce sujet dément va mettre en crise la structure du film et, partant, les thématiques chères à Shyamalan.

LIGNES BRISÉES

Même si le génial Incassable était une sorte de long montage parallèle entre le super-héros Bruce Willis et le super-vilain Samuel L. Jackson, les oeuvres du cinéaste, avec leur rythme paisible et leur oeil d’entomologiste, donnent en effet souvent l’impression de se dérouler dans un présent perpétuel. Comme son titre l’indique, Split brise résolument cette linéarité : les séquences dans la cellule alternent assez brutalement avec d’autres où un avatar pacifique du ravisseur rend visite à sa psy, ainsi qu’avec un flash-back morcelé recueillant les souvenirs de prime enfance de l’héroïne. Cela permet une construction adroite introduisant brique par brique les informations que nous avons essayé de résumer au paragraphe précédent, et ce sans passer par un de ces twists finaux sur lesquels Shyamalan s’est parfois reposé trop exclusivement. 

Mais cela bouleverse également l’approche de notre auteur, et pas qu’un peu. Car dans bon nombre de ses films, le droit fil du récit conduit à cette idée : les protagonistes vont prendre conscience du rôle auquel ils étaient destinés depuis toujours. C’est le cas des duettistes d’Incassable découvrant leur nature innée de super-personnages, ou même de la foule de figures plus ou moins secondaires qui coopèrent pour renvoyer la sirène de La Jeune fille de l’eau dans son univers. Rien de tel dans Split cependant, comme le montre l’itinéraire de l’adolescente incarnée par Anya Taylor-Joy. Le flash-back révèle qu’elle a subi un horrible traumatisme à un âge très tendre, dont on pense qu’elle va parvenir à l’exorciser tout en venant à bout du ravisseur. Or, sans trop dévoiler le dénouement, on notera qu’une terrible ambiguïté subsiste quant à ce qu’elle deviendra après la fin de la projection.

UN PESSIMISME INÉDIT

Bref, Shyamalan paraît avoir abandonné son indécrottable optimisme, pour prendre acte du fait que son thème favori (qu’on pourrait résumer dans cette formule : « Deviens ce que tu es ») est subitement devenu intenable. D’où sa conception d’un monstre qui, faute d’une évolution positive désormais introuvable, est condamné à tourner en rond dans une farandole infernale de personnalités multiples, de plus en plus nombreuses et de plus en plus maléfiques. Et cette noirceur nouvelle propulse, sans crier gare, l’histoire aux confins du surnaturel. S’appuyant sur une hypothèse scientifique liée aux « troubles dissociatifs de l’identité » (chaque personnalité concurrente finirait par avoir un métabolisme différent : par exemple, un des avatars du ravisseur se plaint d’être le seul à souffrir de diabète), le scénario propose en effet une explication rationnelle inédite à une célèbre créature du folklore gothique, voire à l’ensemble du bestiaire fantastique. Rien que ça.

Voilà donc un « petit » film ouvrant en fait des perspectives vertigineuses, et qui confirme en outre l’influence bénéfique du producteur Jason Blum sur la carrière du réalisateur. Car même si la piètre réputation de ses derniers blockbusters apparaît bien extravagante (voir l’excellent After Earth, sorti dans une indifférence générale et totalement injustifiée), le succès mérité de The Visit l’a visiblement remis en selle. Et comme les méthodes de la maison Blum (des budgets raisonnables, pas d’énormes stars à l’affiche) permettent un rythme de tournage soutenu, on peut attendre d’autres développements pour bientôt. D’ailleurs, la séquence post-scriptum de Split annonce un croisement possible entre le Shyamalan ancienne manière (celui des récits d’apprentissage) et le Shyamalan nouvelle manière, semble-t-il davantage porté sur l’enlisement dans le Mal. Simple clin d’oeil, ou véritable promesse pour une suite à venir ? On ne le sait pas encore, mais en tout cas, on suivra les prochains efforts de l’ami Shyami. De très près.. 

GILLES ESPOSITO

 

 

INTERVIEW M. NIGHT SHYAMALAN
RÉALISATEUR & SCÉNARISTE

Boosté par le succès-surprise de The Visit, le réalisateur d’Incassable renoue avec le thriller à petit budget, non sans revoir à la hausse ses ambitions formelles et narratives. Une démarche qu’il nous explique avec le mélange d’ambition et de passion qui le caractérise depuis ses débuts. Des propos à lire après avoir vu le film, bien évidemment…

Avec The Visit et Split, vous vous êtes offert une sorte de nouvelle virginité cinématographique. Ces deux films pourraient avoir été conçus par un cinéaste débutant et sans le sou. 

C’est presque un rêve de pouvoir redevenir un débutant. C’est un peu la philosophie de Bruce Lee : si votre verre est à moitié vide, vous devez le remplir à nouveau, sans quoi vous ne pouvez plus rien apprendre. Tout le monde me parle de ce « retour aux sources » et je n’arrive pas vraiment à l’expliquer : pourquoi refaire des films plus modestes ? Pourquoi ce type de « petites » productions me convient-il à ce point ? Pourquoi tout redémarrer comme à mes débuts ? Mais c’est génial, car je collabore avec des gens qui n’ont pas ou peu d’expérience. Pouvoir bosser avec ce type de personnes alors que je fais des films depuis 25 ans, ça rend les choses tellement excitantes.

Vos meilleurs scripts possèdent un aspect intimiste et humain qui cimente le récit. Ici, vous faites la même chose, juste à une échelle plus réduite…

Oui. Ce sont les longs-métrages que je préfère. J’aime les trucs resserrés où l’expérience s’imprime en vous pendant deux heures. Vous avez raison, je ne ressens aucune limite quand je m’attaque à ce type de films.

Bien que Split et The Visit entretiennent des similitudes, les films sont très différents visuellement, déjà parce que le précédent était un found footage. Ici, vous utilisez le Cinémascope et des focales plutôt courtes pour permettre à vos personnages d’évoluer au sein d’un même axe sans avoir à couper au montage.

Je suis conten [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte