Ressortie : THE THING de John Carpenter
The Thing
USA. 1982. Réalisation : John Carpenter. Interprétation : Kurt Russell, Keith David, Donald Moffat, Richard Dysart… Ressortie le 27 janvier 2016 (Splendor Films).
Si l’on doutait encore que John Carpenter fût un auteur, les cinq films qu’il a consacrés aux extraterrestres viendraient le prouver. Par-delà leurs énormes différences, ils tournent en effet autour d’un unique thème : des aliens empruntant une enveloppe corporelle humaine afin de mener à bien des projets plus ou moins funestes. C’est un naufragé de l’espace qui duplique l’ADN de l’époux défunt d’une jeune veuve éplorée, puis pousse celle-ci à le conduire vers le lieu d’où il pourra regagner son monde (le romantique Starman daté de 1985), un SDF qui trouve une paire de lunettes révélant que les États-Unis sont en voie d’être colonisés par des Petits-gris cachés sous la défroque de cadres dynamiques portant costard-cravate et attaché-case (Invasion Los Angeles et sa féroce satire sociale de l’Amérique de 1988), ce sont encore les habitants d’une ville minière de la planète rouge qui sont possédés par l’esprit d’une civilisation disparue (le terminal Ghosts of Mars en 2001). Pas étonnant, dès lors, que Carpenter se soit retrouvé en 1995 à la tête d’un remake du Village des damnés où, à la suite d’un mystérieux évanouissement collectif, toutes les femmes d’une petite bourgade se trouvent enceintes simultanément et accouchent d’enfants blonds et dénués d’émotion, dont on comprend bien vite qu’ils constituent l’avant-garde d’un prochain débarquement galactique…
ATTENTION AUX IMITATIONS !
Big John avait abordé le sujet une première fois avec un autre remake, celui de La Chose d’un autre monde (The Thing from Another World), une oeuvre généralement attribuée à son producteur/concepteur Howard Hawks bien que ce dernier ait laissé son monteur attitré, Christian Niby, signer seul la réalisation au générique. Pourtant, cet original de 1951 relevait davantage de la classique histoire de monstre : des soldats américains découvrent un humanoïde apparemment pris dans la glace depuis des siècles, mais ce dernier finit par décongeler et essaie de se refaire une santé en buvant le sang des occupants d’une station polaire… Or, Carpenter a toujours eu du nez pour se saisir de scripts qui tissaient des variations sur des films préexistants tout en y ajoutant des éléments qui autorisaient une relecture très personnelle. Par exemple, son Village des damnés se distingue par la répartition des gamins maléfiques en tandems. Du coup, l’un d’eux, isolé à cause de la mort à la naissance de celui qui devait être son binôme, s’avère réceptif à la compassion humaine, et c’est là un des aspects les plus émouvants d’un long-métrage que le cinéaste avoue pourtant avoir accepté seulement pour solder un contrat avec les producteurs. De la même manière, The Thing cuvée 1982 modifie la perspective dès ses premières minutes : l’équipe d’une base antarctique est contrainte d’abattre deux hommes venus de la station norvégienne d’à côté, et qui, semblant avoir perdu les pédales, essayaient à tout prix de tuer un malheureux chien. Les personnages mettent d’abord ce bizarre comportement sur le compte des troubles psychologiques causés par la solitude polaire, mais en visitant la base dévastée de leurs homologues, ils y découvrent un pain de glace dessinant en creux une étrange silhouette – de quoi rappeler des souvenirs aux spectateurs de La Chose d’un autre monde… Bref, c’est un peu comme si les événements de ce dernier avaient été vécus par les Scandinaves, et que ce nouveau film allait raconter un second acte de l’histoire.
Alors, The Thing, à la fois remake et suite ? « Oui, c’est exactement ce que nous voulions faire » opine un Carpenter que nous avons joint par téléphone dans ses bureaux de Los Angeles. « Bien sûr, il fallait nouer un lien avec la version de Hawks. Mais même si cette dernière est époustouflante – c’est un de mes films préférés de tous les temps –, elle est très ancrée dans son époque, et nous devions donc faire quelque chose de différent. Pour le dire autrement, cela ne pouvait pas être juste le même genre d’histoire, si nous voulions plaire au public moderne. Nous sommes ainsi retournés au matériau original, à la nouvelle Who Goes There ?. J’aimais beaucoup la notion d’imitation qu’on y trouvait, et qui a été très bien utilisée par Bill Lancaster, un scénariste très talentueux. Du coup, j’avais déjà accepté de réaliser le film quand on m’a montré les premiers essais des effets spéciaux, sur lesquels beaucoup de gens ont travaillé. Mais j’ai été vraiment convaincu quand Rob Bottin m’a dit que la Chose pourrait se transformer en absolument n’importe quoi, alors qu’elle restait au contraire dans l’ombre chez Hawks. » Si le film est entré dans la légende, c’est en effet pour une bonne part grâce à une créature qui s’avère ici capable d’absorber d’autres organismes, pour en contrefaire ensuite l’apparence. Car l’équipe Bottin met l’accent sur les étapes intermédiaires des transformations, où différents corps s’amalgament dans des hybrides monstrueux, en forme d’amas de chairs gluantes et hurlantes. Mais par-delà leur côté on ne peut plus spectaculaire, ces moments touchent à l’un des points cruciaux de la vision de Carpenter, cinéaste dans une certaine mesure manichéen pour qui le Mal absolu est une entité à la fois irréductible et douée d’ubiquité. Il en ira de même dans Le Village des damnés, où l’envahisseur extraterrestre semble constitué d’un seul psychisme habitant plusieurs gamins reliés télépathiquement, ou encore dans Ghosts of Mars, où les mineurs terriens paraissent moins hantés par des individus distincts les ayant précédés sur la plan [...]
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