Rencontre William Friedkin

À presque 80 printemps, William Friedkin, regard d’oiseau de proie et démarche assurée, nous accueille en nous offrant du gâteau et nous parle du CONVOI DE LA PEUR, de LA NURSE, de Jésus et de ses projets pour la télévision.
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La dernière fois que nous nous sommes vus, nous vous avions demandé quels étaient vos films d’action préférés de ces dernières années et vous nous aviez répondu
Banlieue 13 et Taken, ce qui nous avait beaucoup surpris parce qu’en France ils ne sont pas du tout considérés comme de bons films !

Vous savez, tout est affaire de goût personnel, et puis il n’y en a pas des masses, de grands films d’action. Mais je trouve que ces deux-là sortent du lot. Je n’irais cependant pas jusqu’à dire qu’ils font partie des plus grands films d’action jamais faits, parce que bon, on ne parle pas du Trésor de la Sierra Madre ou de La Horde sauvage, non plus !


Il y en a d’autres qui vous ont marqué depuis ? Que pensez-vous du cinéma de genre hollywoodien actuel ?

À part La Vengeance dans la peau, aucun titre ne me vient à l’esprit. Et ce que produit Hollywood actuellement s’adresse sans nul doute à un certain public, mais sûrement pas à moi. Je ne vais pas voir de films d’horreur, par exemple, même si j’avais beaucoup aimé le premier Paranormal Activity.


Dans votre livre Friedkin Connection, vous insistez beaucoup sur les problèmes techniques rencontrés lors du tournage du
Convoi de la peur, mais vous faites l’impasse sur votre travail avec les acteurs. Cela n’a pas été compliqué de diriger Roy Scheider dans un rôle qui avait été écrit pour Steve McQueen ?

Le truc, c’est que le livre fait plus de 600 pages et que j’y ai mis tout ce dont je me souvenais au moment où je l’ai rédigé, sans rien inventer et sans aucune préparation. Dès que quelque chose me revenait, je l’écrivais sur ce qui me tombait sous la main. Évidemment, depuis, certains détails ou incidents me sont revenus à l’esprit, mais il y en a tellement que ça me prendrait la journée pour vous les raconter. Les acteurs se sont très bien entendus et se respectaient énormément car ils se sont tous investis au maximum dans le film. Steve McQueen n’a pas pu le faire pour les raisons évoquées dans mon livre, mais je suis ravi de la performance de Roy Scheider, je pense même que c’est la meilleure que j’ai obtenue de toute ma carrière. Roy ressemblait plus à un type qu’on croise dans la rue qu’à une star de cinéma. Il avait cette capacité à s’immerger totalement dans chacun des personnages qu’il jouait, jusqu’à s’y perdre. Alors que Steve McQueen avait tendance à jouer Steve McQueen quel que soit le rôle. Avec le recul, je pense qu’on y a gagné au change. Le tournage a été physiquement très éprouvant pour tout le monde, mais ça a été un formidable travail d’équipe, même si mon meilleur souvenir reste celui du jour où on a fini ! J’ai eu l’impression de sortir de taule ! Mais beaucoup de scènes ont été très agréables à tourner, notamment le prologue à Paris avec Bruno Cremer, mais aussi ceux dans le New Jersey et à Jérusalem. Rien à voir avec celles tournées dans ce village de la République Dominicaine, qui était dans un tel état de saleté et de pauvreté qu’il était très difficile de contempler cela chaque jour, d’autant qu’en dehors des acteurs principaux, tous les autres habitaient là. Nous étions parfois logés à l’hôtel, mais il n’avait rien d’un palace et, pour le tournage de la scène du pont au Mexique, nous avons dormi sous des tentes en pleine jungle. Reste qu’aucun des problèmes que nous avons pu rencontrer sur le plateau n’était très inhabituel, il y en a eu beaucoup plus sur French Connection, qui reste le tournage le plus difficile de toute ma carrière.


Qu’aviez-vous pensé de
French Connection II ?

J’aimais beaucoup son réalisateur, John Frankenheimer, ainsi que son travail. Je l’ai supplié de ne pas tourner cette suite. Je lui ai dit que même si son film s’avérait meilleur que le mien, il souffrirait forcément de la comparaison avec French Connection, qui était déjà considéré comme un chef-d’oeuvre par le public et la profession. Mais il ne m’a pas écouté. Le film ne m’a pas intéressé car tout avait déjà été dit sur les personnages et il n’était de toute façon pas possible de faire une meilleure scène de poursuite que celle de French Connection. Donc, non, je n’ai pas aimé, mais j’aurais bien voulu, car j’ai beaucoup appris de Frankenheimer et j’admire profondément ses autres films.


Comment avez-vous vécu l’échec du
Convoi de la peur ?

Pour moi, ce n’est pas un échec car il correspond exactement à la vision que j’en avais. Mais vous savez, je viens d’une époque où on ne s’inquiétait pas de savoir si un film allait faire de l’argent ou pas. Prenez Citizen Kane : c’est le plus grand film jamais réalisé, mais il a perdu de l’argent ! Peut-être que si Orson Welles avait montré le personnage en train de voler avec un costume, une cape et un masque, ça aurait mieux fonctionné, allez savoir.


Vous n’avez pas l’air très fan de films de super-héros…

Non ! Ils ont beau être divertissants, ils n’ont aucun intérêt à mes yeux. Ce sont des films qui sont à la base faits pour des enfants, même s’il y a des adultes qui vont les voir.


Justement, vous ne pensez pas que la clef du problème réside dans le fait que, par exemple, on nous vende
The Dark Knight comme « plus adulte » qu’Avengers alors qu’aucun des deux ne l’est ?

Certes, mais il y a des adultes qui aiment ça. Ce sont aussi des adultes qui ont voté pour Hitler et pour d’autres régimes totalitaires. Il existe plusieurs sortes d’adultes et d’enfants, mais les erreurs politiques ne sont commises que par des adultes. Je comprends donc tout à fait qu’un adulte puisse prendre du plaisir à ce genre de films, tout dépend de quel type d’adulte il s’agit, et cette culture populaire remporte un tel succès que c’est devenu un phénomène planétaire. Tout le monde va voir ces films. Si je démarrais ma carrière aujourd’hui, je ne pense pas que je voudrais travailler dans un système soumis [...]

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