Rencontre : Timur Bekmambetov réalisateur et producteur

Lors du dernier festival Fantasia de Montréal, le producteur des Unfriended défendait son invention du « Screenlife », où le découpage en scènes est remplacé par des fenêtres sur un écran d’ordinateur. À l’occasion de la sortie d’Unfriended : Dark Web, il nous explique pourquoi il faut voir le procédé comme un nouveau langage cinématographique…
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Vous avez eu l’idée du Screenlife à la suite d’un événement particulier…

Oui, cela s’est passé il y a cinq ans. Skype venait d’annoncer une nouvelle fonctionnalité, permettant de partager son propre écran avec son interlocuteur. Or, j’étais alors en vidéoconférence avec ma partenaire de business, pour discuter de l’affiche d’un film que nous avions produit en Russie. Je lui ai donc dit de partager son écran avec moi, pour que je puisse voir les croquis. Elle m’a répondu : « Hein, quoi ? », et je lui ai indiqué là où elle devait cliquer. Mais ensuite, elle n’a pas pensé à arrêter le partage. Pendant que nous continuions à parler de nos affaires, je pouvais ainsi la voir commander son déjeuner, envoyer des messages à ses amis, etc. Bref, j’étais complètement dans son intimité – j’allais dire : dans l’intimité du personnage. Bien sûr, ce n’était pas bien de l’espionner comme cela, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Et même si j’ai quand même fini par lui dire que je pouvais toujours voir son écran, et qu’elle devait recliquer sur le bouton, j’ai compris que je tenais là un incroyable outil de narration. En effet, vous comme moi, nous passons la moitié de notre temps devant des écrans d’ordinateur ou de téléphone mobile. Et la plupart des événements importants de nos vies nous sont communiqués par ce truchement : je peux y apprendre que j’ai eu un enfant, que ma compagne m’a trompé… ou encore recevoir soudainement un message d’un vieil ami, mort il y a plusieurs années ! Car ce monde est comme une maison hantée, dont nous ne savons pas tout et qui nous fait peur. Hé oui, nous vivons sur Internet, mais nous n’avons pas confiance en Internet. En revanche, nous faisons confiance au monde physique, puisque nous en connaissons les règles, la morale. Nous savons où se situent le Bien et le Mal, nous savons si telle personne est morte ou vivante, toutes ces idées nous ayant été transmises par les anciens mythes et les histoires pour enfants qu’on nous raconte depuis des milliers d’années et qui nous ont appris comment vivre dans le monde physique. Mais à l’inverse, personne n’a jamais écrit des mythes et des contes de fées à propos d’Internet, et cela creuse un fossé qui est source de peur. Ce que nous faisons avec les films en Screenlife, c’est de combler ce fossé. 



Concrètement, comment s’est passée la mise en chantier du premier Unfriended, qui s’est d’abord intitulé Cybernatural ?

Comme je suis quelqu’un de très actif et aventureux, j’ai juste décidé de me lancer là-dedans, en lançant à mon assistant : « Toi, tu écriras le scénario. ». (rires) Puis j’ai appelé mon partenaire russe Leo Gabriadze, et je lui ai dit : « Saute dans l’avion, nous faisons un film. ». Et quand il m’a demandé de quoi il s’agissait, je lui ai seulement répondu que cela se passait sur un écran d’ordinateur ! Nous avons ainsi échafaudé le long-métrage tout seuls, vu qu’il ne coûtait pratiquement rien – dans les 100.000 dollars, peut-être. Plus exactement, nous en avons tourné la moitié, avant de consacrer plusieurs mois au montage de cette partie. En effet, nous nous sommes vite rendu compte qu’il s’agissait d’un autre langage, réclamant des règles différentes des codes traditionnels. Ensuite, nous avons tourné des scènes additionnelles, et cela a été un processus d’un an pour effectuer ces reshoots et aboutir au montage final. En fait, ce n’était pas de la production. Cela ressemblait plutôt à un centre de recherches, à un laboratoire où nous développions un nouveau langage. Par exemple, dans les films traditionnels, vous cadrez en gros plan pour montrer la réaction d’un personnage. Mais pour nous, il est parfois nécessaire de ne pas montrer le personnage du tout, son état d’esprit pouvant être mieux exprimé par sa façon de déplacer nerveusement sa souris.


Oui, vous avez insist&eacu [...]

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