Rencontre Shinya Tsukamoto
[Shinya Tsukamoto réagit en voyant des exemplaires de Mad Movies amenés pour l’occasion – NDR]
Oh ! Merci beaucoup. Hum… (il réfléchit) Il y a 23 ans, si je me souviens bien, je partais à l’étranger dans le cadre de la promotion de Tetsuo II, et je crois que Mad Movies avait été l’un des tout premiers magazines à m’avoir interviewé…
Restons deux secondes dans l’anecdote personnelle si vous le permettez : c’est en achetant le no91 de Mad Movies que j’ai découvert votre univers. Quelque part, vous avez été mon premier contact traumatique avec le cinéma japonais.
(rires) Je vois… Hum… Je suis désolé.
Sans transition, j’aimerais recueillir votre sentiment concernant le décès de Shigeru Mizuki (mangaka considéré comme trésor national au Japon et dont l’oeuvre colossale a été une source d’influence pour de nombreux artistes – NDR).
Avant de réaliser Tetsuo, qu’on peut considérer comme mon premier film « commercial », j’ai fait plusieurs courts-métrages, dont l’un était une adaptation d’un manga de Shigeru Mizuki. C’était Genshi-san, qu’on peut traduire par « Mister Primitive », et je l’ai tourné avec une caméra 8 mm alors que j’étais encore au collège. Plus récemment, j’ai fait une apparition dans un dorama (ou drama, terme désignant une fiction télé à suivre au Japon – NDR) tiré de l’autobiographie de la femme de Mizuki, Mura Nunoe, et intitulé Gegege no nyôbô. C’était en 2010, et durant la fête de fin de tournage, j’ai pu rencontrer le Maître en personne et lui demander, a posteriori donc, l’autorisation de pouvoir tourner une adaptation cinéma de Genshi-san. D’ailleurs, le personnage de Tetsuo se rapproche vraiment de celui de Genshi-san : tous les deux sont animés par le même désir primitif de destruction totale. Puis vous savez, on dit souvent que les premiers films contiennent en germes toutes les obsessions d’un artiste.
Shigeru Mizuki aurait d’ailleurs pu être l’un des personnages de Fires on the Plain (2014), sachant qu’il a été enrôlé dans l’armée impériale pour la campagne de Nouvelle-Guinée et a connu lui aussi les horreurs de la guerre dans des conditions assez proches de ce qu’ont vécu les soldats japonais aux Philippines…
Vous avez raison. C’était d’ailleurs l’un des derniers survivants de cette guerre à pouvoir témoigner des atrocités vécues. Son décès symbolise quelque part la disparition d’une certaine histoire. Vous savez, j’ai rencontré beaucoup d’anciens combattants de la Guerre du Pacifique, et ces rencontres m’ont été très précieuses dans l’écriture de Fires on the Plain.
Je vais théoriser encore un peu autour de vos « rapports » avec Shigeru Mizuki : le personnage de Nightmare Detective (2006), coincé entre le monde des rêves – ou plutôt des cauchemars – et la réalité, m’évoque une version torturée de Kitaro le repoussant (manga publié chez Cornelius en France – NDR), qui fait le lien entre le Monde des Morts et celui des Vivants…
Hum… C’est très intéressant ce que vous me dites là. Je vais y réfléchir…
Pour en revenir à Fires on the Plain, je trouve le film très proche dans sa conception chaotique, courageuse et artisanale du premier Tetsuo. Même si vous changez radicalement d’univers et d’environnement, il y a un lien qui tient quasiment du reflet…
À l’époque où j’ai tourné Tetsuo, je n’avais pas d’argent et je travaillais avec une petite équipe de techniciens tous bénévoles. Sauf que, quand je les ai à nouveau sollicités sur d’autres projets, même si je n’avais pas beaucoup plus de latitude pécuniaire, je les ai tout de même payés un peu. Sur Fires on the Plain, je suis effectivement revenu à une économie… inexistante. Je n’ai donc pu rémunérer personne. C’est peut-être le point commun le plus évident entre les deux films. (il réfléchit) Aussi, ces deux longs-métrages se ressemblent dans leur structure très libre : il n’y a pas vraiment d’intrigue dans Tetsuo ni dans Fires on the Plain. Nous sommes devant un enchaînement de séquences finalement très simple.
La ville, dans ses aspects les plus tentaculaires – voire cannibales –, a toujours été l’un des personnages-clés de vos films. Dans Fires on the Plain, vous sortez de l’ornière urbaine pour filmer la jungle. Comment avez-vous assimilé cette donnée topographique en termes de mise en scène ?
C’est vrai que j’ai beaucoup tourné dans des grandes villes, dans lesq [...]
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