Rencontre : Saïd Ben Saïd

Il est basé à Paris, mais il n’en a pas moins été le producteur de Brian De Palma (Passion), David Cronenberg (Maps to the Stars), Walter Hill (Revenger) et surtout Paul Verhoeven (Elle). Invité de marque au dernier Festival International du Film de La Roche-sur-Yon (voir le compte-rendu sur notre site Internet), « SBS » nous livrait les secrets du métier, assaisonnés de révélations sur nombre de projets avortés ou à venir.
Array

Comment êtes-vous entré dans la production cinématographique ?

J’y suis entré par envie, et par obstination. C’était un désir très ancien, puisqu’à la fin des années 80, j’ai passé le concours de la FEMIS en département Production, que je n’ai pas eu. Mais après avoir pratiqué pendant un temps mon premier métier – j’avais fait des études d’ingénieur –, j’ai eu la chance d’être embauché à M6, un peu par hasard : un an auparavant, j’avais sympathisé avec le directeur des programmes de la chaîne, Thomas Valentin. Par la suite, j’ai passé un an chez UGC, puis deux ans chez Polygram, dans les deux cas pour m’occuper des ventes à la télévision. Et enfin, je suis retourné à UGC quand ils ont démarré une activité de production, à la toute fin des années 90. J’ai ainsi fait mon premier film en tant que producteur exécutif en 2000. C’était Loin d’André Téchiné, et je dois dire qu’auprès de ce dernier, j’ai tout appris du métier, tout en bénéficiant de la sécurité du salaire mensuel versé par UGC.


À cette époque, vous produisez aussi Total western. Vous vouliez faire marcher le cinéma français sur ses deux jambes, « auteur » et « genre » ?

Le fait est que j’avais beaucoup aimé Les Patriotes. J’ai ainsi sollicité Éric Rochant dès que je suis retourné à UGC. Or, il était en train de développer Total western avec Alain Rocca, et ils n’arrivaient pas à monter le film. J’ai donc pris le train en marche, pour les aider à réunir la totalité du financement. C’est comme cela que j’ai coproduit Total western avec Rocca. Je pense cependant que – depuis les années 60, en tout cas – la veine la plus tonique, la plus vivante du cinéma français est celle qui vient du carnet de bord, du journal intime. Pour aller très vite, cela part de Pickpocket et À bout de souffle, en passant par La Maman et la putain pour aboutir peut-être aux films de Philippe Garrel. J’ai toujours eu beaucoup de problèmes, même s’il y a des ponts entre les deux, avec le cinéma commercial hexagonal. Il est souvent empêtré dans les conventions les plus lourdes, ayant du mal à manier les lieux communs comme le fait très bien le cinéma américain. Je trouve ainsi que depuis Touchez pas au grisbi et Le Trou, le genre n’a pas été un territoire très fécond en France, en dépit de cas vraiment exceptionnels comme Melville et Le Cercle rouge, ou encore Un prophète qui est indéniablement un très grand film. Je suis d’ailleurs très fier d’avoir produit Total western, qui me semble être une oeuvre honorable. Remarquez néanmoins que Rochant est ensuite passé à autre chose.


Vous, vous avez fondé votre propre société, SBS…

J’ai voulu devenir mon propre patron, c’est tout. Car j’étais très bien à UGC, où j’avais vraiment les moyens de développer et de produire à peu près ce que je voulais, sachant qu’il y avait quand même des règles. UGC étant avant tout un exploitant de salles, sa stratégie en termes de production, c’est davantage Lucky Luke que Loin, évidemment. Mais on me laissait beaucoup de liberté pour développer des projets qui n’entraient pas forcément dans cette stratégie. Cependant, au bout d’une dizaine d’années, j’en ai eu un peu marre de cette alternance : un film pour moi, un film pour UGC, etc. Je voulais ne plus faire que des films pour moi.


Mais c’était votre projet de départ de « repêcher » des auteurs qui se trouvaient marginalisés à Hollywood ?

Ma problématique a toujours été internationale, et je me suis toujours considéré comme un producteur français, certes, mais dont la géographie est celle du cinéma indépendant mondial. Or, au moment où je crée ma société, en 2010, on est pleine crise financière, et celle-ci touche en particulier les distributeurs. Le marché international est vraiment par terre, et comme c’est de ce dernier que dépend essentiellement la production indépendante aux États-Unis, elle se porte très mal. Par ailleurs, depuis le début des années 2000, les grands studios ont mis en oeuvre, avec une grande réussite, une nouvelle stratégie. Quelle est-elle ? C’est produire des films de plus en plus chers, de plus en plus formatés, qui appliquent grosso modo la même formule. Tout cela fait que c’est très difficile de monter un long-métrage pour les cinéastes dont les projets ne répondent pas aux seules lois du marché – je dis bien « aux seules », car si vous voyez De Palma, Coppola, Peter Weir ou Verhoeven, ils ont tous réalisé de nombreux longs-métrages de studio, et ils pensent aussi beaucoup au marché. Bref, j’ai eu la chance d’entamer ma nouvelle activité de producteur indépendant avec le film de Roman Polanski, Carnage, qui a été pour moi une espèce de bienfait du destin. Il est arrivé au bon moment pour me donner une place sur le territoire de la production internationale, pour me donner une visibilité à Los Angeles. Du coup, j’ai commencé à susciter un petit intérêt auprès des agents, qui m’ont vu comme une alternative possible aux producteurs indépendants américains auxquels ils avaient l’habitude de s’adresser quand les cinéastes concevant leurs propres projets – c’est-à-dire les auteurs – leur en apportaient un nouveau.


Vous donnez l’impression que Carnage vous est tombé dans les bras…

Ce n’est pas cela. Voilà comment cela s’est passé. Polanski faisait partie des cinéastes que j’étais allé voir pour leur dire : « Je viens d’entrer à UGC, je n’ai jamais fait de film, mais j’aimerais bien qu’on travaille ensemble, parce que même si je n’ai pas d’expérience, je représente quand même UGC. ». Et au fil des années, il m’a donné régulièrement des signes de bienveillance, en répondant très gentiment aux mots que je lui envoyais. D’autre part, je connaissais très bien Yasmina Reza (dont la pièce Le Dieu du carnage est à l’origine du film – NDR) puisqu’elle avait joué un petit rôle dans Loin et que j’avais produit pour UGC son long-métrage Chicas. Un jour, elle m’a dit que Roman, qui coproduit toujours ses propres films, avait beaucoup de mal pour réunir les financements. Il était alors en train de finir The Ghost Writer, et il se disait qu’il aimerait bien s’offrir une parenthèse pour le prochain, car il trouvait que beaucoup trop d’énergie partait à la production. Yasmina lui a ainsi proposé : « Que penses-tu de Saïd Ben Saï [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte