Rencontre Ronny Yu

Le réalisateur de The Bride with White Hair et The Saviour (édités ces jours-ci en Blu-ray chez Spectrum Films : voir encadré) nous raconte son étonnante destinée de cinéaste franc-tireur, qui l’a amené à se frotter à différents systèmes de production, de Hong Kong à la Chine continentale en passant par Hollywood.
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Comme vous avez débuté à la fin des années 70, vous vous rattachez à ce qu’on appelle la Nouvelle Vague hongkongaise, tout en vous en distinguant, car vous n’avez jamais fait d’école de cinéma, ni travaillé à la télévision…

Je reste un marginal. Du coup, l’industrie cinématographique de Hong Kong m’a toujours considéré comme une personne désinvolte, ne prenant pas les films au sérieux. Mais si, je les prends très au sérieux ! Le truc, c’est que je suis un loup solitaire depuis tout bébé, car j’ai eu la polio à l’âge de 8 mois. À cause de mon handicap, j’étais le gamin qui doit se contenter de regarder les matches de foot depuis le bord du terrain, et dont les autres enfants se moquent pour sa façon bizarre de marcher. C’est pourquoi je n’ai jamais fréquenté socialement les gens du cinéma de Hong Kong, dans l’espoir qu’ils m’acceptent parmi eux. Je me dis juste que, du moment que les spectateurs payent leur ticket pour voir mon film, je pourrai en faire un autre. Or, j’ai été assez chanceux pour que mon premier long-métrage, The Servant, soit un succès. J’ai donc eu de l’argent pour réaliser le suivant, et ainsi de suite. Bon, j’ai toujours eu un certain talent pour persuader les investisseurs de financer mes films. Mais pour cela, vous n’avez pas besoin de traîner dans les mondanités, du moment que vous croyez en vous-même. Et je suis bien entraîné, car depuis tout bébé, j’ai dû me battre à chaque instant pour survivre. Vous penserez peut-être que je suis très sûr de moi, mais en fait, je suis terrifié à chaque fois que j’entame un nouveau film. Car comme vous le notiez, je n’ai aucun fondement théorique en matière de cinéma. Je ne sais rien, zéro. Je vais vous raconter une histoire drôle à ce sujet. Le monteur de The Servant, et aussi de The Saviour, était un vieux mec qui connaissait très bien son boulot car il avait longtemps travaillé sur les productions Shaw Brothers. Il me disait sans cesse : « Hé Ronny, ces deux plans ne vont pas raccorder. Demain, tourne des inserts pour moi, que je puisse les inclure dans la séquence. Comme cela, elle fonctionnera. ». Un soir, il m’a même déclaré : « Ronny, il est 22 heures et tu tournes demain à 6 heures du matin. Cette nuit, tu ferais mieux de ne pas dormir et de lire plutôt ce livre. ». Je regarde la couverture, et c’est La Grammaire cinématographique pour les débutants ! (rires) Bref, j’ai appris mon métier en le pratiquant, sur le tas. Enfant, j’étais un tel loup solitaire que mon père me déposait dans les salles diffusant des productions hollywoodiennes. Pendant les périodes de vacances, je voyais ainsi trois séances par jour – les films de David Lean, de Laurence Olivier, La Horde sauvage de Sam Peckinpah, tous les westerns… Ces images se sont emmagasinées dans ma tête, et elles sont ressorties quand j’ai commencé à réaliser. Pour autant, je ne comprenais rien quand le caméraman me demandait si je voulais un objectif de 50 mm, 30 ou 20. Je lui indiquais juste avec mes mains le cadrage que je souhaitais. (rires) Parfois, les techniciens vont se moquer de toi, mais d’un autre côté, il y a un avantage à ne jamais avoir eu la chance de faire une école de cinéma. Comme je n’ai de théorie d’aucune sorte, je recherche juste des histoires divertissantes, frappantes, en me demandant si elles vont procurer des émotions au public. C’est pourquoi j’aime m’essayer à tous les genres, et expérimenter des tas de choses. En effet, je n’ai pas d’idées préconçues, car je reste d’une totale sincérité. En fait, je suis un éternel étudiant en cinéma, pour qui chaque nouveau film est une leçon supplémentaire. Aujourd’hui encore, si vous me demandez si je suis complètement à l’aise avec la technique, je répondrai : « Non, non, je me sens toujours aussi vulnérable. ». (rires)



The Saviour (aussi connu en France sous son titre VHS La Justice d’un flic – NDR) se distingue de la production de Hong Kong en mélangeant polar urbain et histoire de tueur en série. Pour le second aspect, vous vous êtes inspiré du cinéma occidental ?

Oui. À la fin des années 70 et au début des années 80, le genre « cops and robbers » était très en vogue dans l’industrie : il était populaire et ne demandait pas de trop gros budgets. J’ai ainsi tourné The Servant avec l’acteur-scénariste Philip Chan, qui était un ex-commissaire de police. Cette expérience m’a beaucoup appris sur les criminels, les inspecteurs, etc. Cependant, pour mon film suivant, j’ai cherché quelque chose de nouveau. Or, à cette époque, mon réalisateur préféré était Brian De Palma : j’adorais ses thrillers, et aussi ceux de Hitchcock. J’ai donc engagé un scénariste, et avec ce dernier, nous avons débouché sur un projet qui était pratiquement un Inspecteur Harry contre tueur psychopathe. Cela a donné The Saviour, dont le personnage principal est, à mes yeux, le jeune assassin. Les producteurs ont néanmoins insisté pour que je mette davantage l’accent sur le flic héroïque.


Le cinéma de Hong Kong était alors frappant par son inscription dans la réalité urbaine. Vous aviez appris cela en officiant comme directeur de production, quelques années plus tôt, sur les films de Po-Chih Leong, notamment le fameux Jumping Ash ?

Certainement. À cette époque, j’étais seul à Hong Kong, car ma famille avait déjà déménagé en Australie. Du coup, je vivais 24 heures sur 24 dans les locaux de la production, où je dormais et mangeais. J’ai ainsi pu observer Po-Chih Leong quand il travaillait au montage, et aussi apprendre sur la planification des tournages, le financement, bref toute la logistique de la fabrication d’un film. De fait, sur mes premières réalisations, j’allais devoir travailler très vite et avec peu de budget. Nous n’avions donc pas l’argent pour avoir des plateaux fabuleux : nous tournions dans des endroits appartenant à des gens que nous connaissions. Néanmoins, ces conditions vous forcent à transformer la nécessité en style. Chez Po-Chih Leong, j’avais sympathisé avec Tony Hope, qui était alors l’un des deux meilleurs directeurs photo de Hong Kong. Je l’ai ensuite engagé sur The Saviour, et il m’a d’emblée lancé : « Ronny, nous n’avons ni le temps ni l’argent pour louer une grue ou des rails de travelling. Alors, tu sais quoi ? Si tu as le courage de me faire confiance, je vais mettre la caméra dans un sac de voyage que je tiendrai par les poignées tout en courant comme un dingue. ». (rires) Je lui ai demandé si l’image serait quand même nette, et il m’a répondu : « Comme je mettrai un objectif grand-angle sur la caméra, tu n’as pas trop de souci à te faire. Et même si c’est parfois un peu flou, ce n’est pas grave, car le public sera au coeur de l’action. Nous n’avons donc pas besoin de fignoler comme dans un film de Hollywood. ». J’ai alors dit : « Ouais ! Pourquoi pas ? Faisons cela. ». C’est ainsi que nous avons tourné l’ouverture de The Saviour, où l’inspecteur poursuit le gars au masque de moto en sautant d’un toit à l’autre. Pourtant, à cette époque, il n’y avait pas de moniteur vidéo pour vérifier le cadrage en direct. Il fallait donc naviguer au jugé, d’autant que nous n’avions pas de budget pour retourner des plans plus tard. Mais cela ne me dérangeait pas, car j’ai toujours aimé procéder différemment de tout le monde. Avec The Bride with White Hair, j’allais aussi m’efforcer de tout faire autrement.



Là, le défi touchait au contraire à la fantasy, avec une esthétique de studio…

Oui, The Bride with White Hair a été un énorme défi et un tournage très difficile, car nous devions penser sans arrêt au manque d’argent. Nous avons commencé à filmer à l’été 1993, et à ce moment-là, absolument tous les studios de Hong Kong étaient occupés par d’autres productions. J’ai donc annoncé à mon chef-décorateur Eddie Ma que nous allions louer un lopin de terre au gouvernement et y construire notre propre studio. Il m’a traité de doux rêveur, mais je lui ai rétorqué que ce serait possible s’il s’agissait d’un bâtiment provisoire, bon marché, rudimentaire, non insonorisé, etc. Nous avons ainsi édifié trois grands plateaux, puis nous sommes hélas rentrés dans la saison des typhons à Hong Kong, et tout a été détruit. Quel cauchemar ! Nous avons dû reconstruire les décors [...]

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