Rencontre : Roger Corman

L’été dernier, l’éternel monarque du film de genre à petit budget était l’invité d’honneur du FID, le Festival International de Cinéma de Marseille, où ce gentleman nous a offert une plaisante conversation, partagée entre anecdotes pittoresques et considérations sur les mutations de l’industrie de la série B.
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Entrons directement dans le vif du sujet, à l’image de vos films, où le récit démarre souvent en trombe. C’est quelque chose que vous construisez au montage, ou bien dès l’écriture du scénario ?

En effet, je veux capter l’attention du public immédiatement, en frappant un coup bref avant de ralentir un peu pour introduire les personnages et planter la situation. Et en général, c’est prévu à l’avance – que ce soit un jeune cinéaste, un vétéran, ou moi-même à la réalisation. À chaque fois que c’est possible, je veille à préparer le scénario et à fixer la façon dont je veux que les choses soient faites, au moins dans les grandes lignes. Je n’aime pas avoir à effectuer des changements majeurs au montage, car cela peut perturber le rythme du film. Pour moi, le montage sert seulement à perfectionner le rythme à l’intérieur de chaque scène et l’interprétation visuelle du scénario, en décidant par exemple de découper un dialogue avec des longues focales, des gros plans, des plans moyens, et ainsi de suite. Parfois, quand c’est nécessaire, je modifie l’ordre des séquences. Mais autant que possible, j’aime m’en tenir au scénario original. J’ai aujourd’hui 91 ans, et mes opinions ne sont pas forcément les mêmes qu’il y a 50 ans. Je pense cependant que certains thèmes courent à travers toute mon oeuvre comme scénariste, réalisateur, producteur, ou les trois à la fois.


Quels sont ces thèmes ?

Ayant fait un certain nombre de films d’horreur et de science-fiction, je connais l’importance des moments forts, en particulier dans le cinéma d’horreur. Mais certains cinéastes commettent une erreur par omission, si j’ose dire, en mettant l’accent sur l’épouvante dans une telle mesure qu’ils n’explorent pas pleinement les personnages. Je pense au contraire que, même dans le film le plus extrême, vous devez prendre le temps d’asseoir les protagonistes, leurs motivations, leurs relations mutuelles, afin que le public les comprenne et sympathise avec eux. En même temps, je sais bien sûr à quel point il est important que l’horreur soit là, et bien là.


C’est une leçon que vous avez tirée de la lecture d’Edgar Poe ?

C’est mon apport personnel, mais il ne fait aucun doute que j’ai été très profondément influencé par Poe. Par exemple, dans Le Masque de la mort rouge, il établit le personnage de Prospero, ses motivations, ses relations avec les invités qu’il enferme dans son palais pour éviter que la peste n’y entre. De même, quand j’ai tourné l’adaptation, il était très important pour moi qu’on comprenne les invités et toutes leurs interactions. Et en même temps, je devais laisser passer l’horreur de la Mort rouge elle-même, la peste.


Vous aviez lu Poe avant de signer votre fameuse série de huit adaptations dans les années 1960-65 ?

Oui. Alors que j’étais encore à l’école primaire, on m’a donné à lire comme devoir pour un cours d’anglais. Et j’ai été fasciné, à tel point que j’ai demandé à mes parents de m’offrir pour Noël les oeuvres complètes d’Edgar Allan Poe. Ils étaient ravis, car j’aurais aussi bien pu réclamer un fusil ou quelque chose comme ça. Bref, je n’avais pas plus de 12 ans quand j’ai lu les oeuvres complètes de Poe. À cette époque, je ne réfléchissais pas à devenir cinéaste : mon père étant ingénieur, je pensais suivre ses pas. Mais j’étais fasciné par Poe, et en particulier, comme je l’ai dit, par le fait qu’il travaillait très dur sur ses personnages et leur inconscient. En fait, il travaillait l’inconscient au milieu du XIXe siècle de la même manière que Freud allait travailler l’inconscient à la fin du XIXe siècle.



Cela a été difficile de convaincre Samuel Z. Arkoff et James Nicholson, les pontes de l’American International Pictures, de se lancer dans ces productions en Scope couleurs ?

À l’époque, les distributeurs les plus importants du cinéma d’horreur à petit budget étaient American International et Allied Artists. Et ils avaient la même astuce : ils sortaient deux longs-métrages dans un double-programme. Pour le public, cela faisait donc deux films pour le prix d’un. Chaque production était tournée en dix jours et en noir & blanc, pour un budget allant de 40.000 dollars à peut-être 80.000. Et pour ces deux compagnies, j’avais déjà réalisé pas mal de films pour double-programme – deux longs-métrages d’horreur, deux de science-fiction, deux de quelque autre genre… Mais j’étais un peu fatigué de ce système, et quand American International m’a demandé de diriger à nouveau deux bandes horrifiques, je leur ai dit le fond de ma pensée, qui était ceci : c’est une sorte de gadget commercial d’offrir deux films à bas budget pour le prix d’un, et comme tous les gadgets commerciaux, le public va s’en lasser et il ne fonctionnera plus. De plus, je voulais avancer un peu dans ma carrière, et je leur ai ainsi proposé, plutôt que de tourner deux films de dix jours en noir & blanc, de faire un film de QUINZE JOURS en couleurs, qui serait La Chute de la maison Usher. Cela a été facile de convaincre James Nicholson, qui était en charge du côté créatif à l’American International et qui voulait également faire avancer un peu la compagnie. Cela a été un peu plus difficile avec Sam Arkoff qui, même s’il était aussi impliqué dans le côté créatif, était davantage un homme d’affaires. Il n’y était pas vraiment opposé, mais comme il y avait toujours une créature dans ces films, il m’a dit : « Il n’y a pas de monstre dans La Chute de la maison Usher. ». Je lui ai alors répondu : « La maison, Sam, est le monstre. ». Et sur cette base, il a accepté.


Là, vous avez récupéré des acteurs légendaires du fantastique, comme Vincent Price, Basil Rathbone ou Boris Karloff. Vous leur donniez des indications, ou bien étaient-ils si expérimentés qu’ils se dirigeaient eux-mêmes ?

Je me souvenais avoir été très impressionné par la performance de Boris Karloff dans le Frankenstein original, en parti [...]

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