
Rencontre Philip Ridley
En France, vous êtes principalement connu pour vos films, et en Angleterre, plutôt pour vos pièces de théâtre. Tout cela fait-il partie d’un même univers ?
Quel que soit le médium, ce sont simplement des histoires que j’ai envie de raconter. Je ne vois aucune différence entre elles. Ce qui change, c’est le langage utilisé pour les raconter : d’un côté le cinéma, avec des images et des sons, de l’autre, le théâtre, qui est essentiellement composé de mots. Je ne vois pas ces deux médiums comme quelque chose de séparé. Vous savez, si je fais ce que je fais aujourd’hui, c’est parce que j’ai été très malade étant enfant. Je souffrais de terribles crises d’asthme et j’ai longtemps dû vivre sous une tente à oxygène. Il m’a fallu créer mon propre univers intérieur. Je n’avais pas d’interactions sociales, et je n’ai commencé à avoir des amis de mon âge qu’à partir de 14/15 ans. Du coup, j’ai énormément lu, et je suis devenu totalement obsédé par les comic-books Marvel. En particulier, j’ai lu absolument tout ce qui avait trait à Spider-Man et aux X-Men. Je les lisais, relisais… J’avais une collection incroyable, que j’ai d’ailleurs perdue, ce qui est dommage, parce que j’aurais pu acheter plusieurs maisons en la revendant ! (rires) Et cette lecture a déclenché quelque chose en moi, en plus de combler ma solitude. Il y avait là des images et des mots qui se combinaient pour raconter des histoires. Au fond, ces BD sont de véritables story-boards, mais avec des dialogues. Donc dès le début, j’ai été attiré par le fait de raconter quelque chose aussi bien avec des images qu’avec des mots. Pour moi, c’étaient des choses complémentaires, et non antagonistes. De fait, les mots m’ont amené à écrire des poèmes, des pièces et autres, et les images m’ont guidé vers la peinture, le dessin et le cinéma. Tout ce que je fais vient de là, et est de plus guidé par des thèmes récurrents. À chaque fois que je produis quelque chose de nouveau, certains de mes amis me disent toujours : « Oh non, c’est encore à propos de la même chose, tu radotes, tu tournes toujours autour des mêmes sujets… ». Mais je ne vois pas les choses comme ça : quand vous êtes dans un avion qui vole au-dessus des nuages, vous voyez différents pics qui émergent de ces nuages. Mais quand vous passez sous les nuages, vous découvrez que tous les pics font partie de la même montagne. Ces pics sont les histoires que j’écris ou mets en scène. Ils semblent différents par leur moyen d’expression, mais la base est la même.
Comment décidez-vous qu’une histoire spécifique deviendra un film plutôt qu’une pièce, ou l’inverse ?
Si c’est une histoire qui m’apparait principalement sous forme d’images, c’est plutôt une idée pour un film. Si elle se traduit par deux personnes en train de parler face-à-face, alors c’est en général une pièce de théâtre. Il s’agit simplement de trouver le meilleur moyen d’expression. Un film est fait d’images, je n’ai pas envie de voir des personnages blablater pendant 20 minutes sur le braquage de banque qu’ils vont faire, je veux voir le braquage ! Selon moi, chaque médium doit révéler le meilleur de l’histoire qu’il sert à illustrer. C’est pour cette raison que je n’ai quasiment jamais adapté l’une de mes oeuvres pour un autre support. Elles doivent exister tel qu’elles ont été conçues. L’Enfant miroir ne pourrait être autre chose qu’un film. Rien que le plan d’ouverture ! Dans un livre, ça dirait : « Un enfant marche dans un champ de blé. ». Mais non ! Il faut voir cet immense mur jaune que constitue le champ pour comprendre l’émotion qu’on veut provoquer. Seul le cinéma permet cela.
Vous n’avez réalisé que trois films en 25 ans, mais écrit beaucoup plus de pièces. Est-ce parce que le théâtre est un moyen d’expression plus direct, qui n’est pas handicapé par la lourdeur de la mécanique financière, artistique et humaine qu’implique un long-métrage de cinéma ?
C’est en partie pour ça, oui. De plus, j’avais un contrôle total sur les trois films que j’ai faits. Si ce n’est pas le cas, je ne peux pas faire de cinéma. Et il est de plus en plus rare d’avoir la possibilité d’exercer ce type de contrôle. À chaque fois que je termine un film, je me dis que je n’en ferai plus jamais d’autre, vu la lutte que cela constitue à chaque fois. De plus, lorsque je sors un long-métrage, ce n’est jamais un succès commercial immédiat. En règle générale, il faut entre cinq et sept ans pour que les gens commencent à se dire : « Hey, il était pas mal ce film, en fait ! ». Mais les financiers s’en fichent. Tout ce qui les intéresse, ce sont les chiffres du premier week-end d&rsqu [...]
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