
Rencontre : Nobuhiko Obayashi
Nous allons vous interroger pour le magazine Mad Movies…
Mad Movies et le Mad réalisateur ! (rires)
Quel a été votre premier contact avec le cinéma ?
Ma réponse va être vraiment unique, car j’ai commencé à créer des films avant d’en voir. D’abord, je dois dire que la ville d’où je viens est située entre le littoral et une montagne. Ma maison était au milieu du flanc de cette montagne, et en contrebas, il y avait une ligne de chemin de fer. Pour l’enfant que j’étais, la locomotive à vapeur était comme un roi, avec sa cheminée recrachant de la vapeur. Et bien sûr, j’attendais avec impatience qu’un train passe près de chez moi. Mais quand c’était le cas, j’avais très peur. Pourtant, dès que le convoi s’éloignait, je me remettais à espérer l’arrivée d’un autre train. Bref, j’ai trouvé près de ma maison, par hasard, un modèle réduit de locomotive. Ou plutôt, ce que je croyais être une locomotive. En fait, c’était un petit projecteur. Mais je pensais que c’était un jouet, car un élément était comme une cheminée, tandis que le mécanisme ressemblait à une chaudière, et le ruban de pellicule à des rails. C’est donc en jouant avec mon « tchou-tchou » que j’ai eu ma première rencontre avec le cinéma. Dans mon inconscient, j’ai cependant découpé les films en petits morceaux. Une fois que j’ai eu compris que l’objet était en fait un projecteur, j’ai donc réassemblé les bouts de pellicule. Mais comme je l’ai fait dans le désordre, je me suis aperçu que la structure des films pouvait obéir à ma propre volonté, et c’est ainsi que j’ai découvert le montage (en français dans le texte – NDR). De plus, à force de jouer avec, les images gravées sur la pellicule s’étaient plus ou moins effacées. Du coup, j’ai commencé à faire des dessins par-dessus, et voilà comment j’ai appris à créer de l’animation. Enfin, comme nous avions une caméra Reka à la maison, j’ai pu tourner mes propres films, puis les passer dans le projecteur. Pour moi, le cinéma était donc quelque chose que nous créions, mon petit frère et moi. Mais plus tard dans ma vie, je suis allé dans une salle pour la première fois, et je me suis alors rendu compte que les adultes pouvaient apprécier une expérience similaire à ce que je faisais moi-même. En outre, même les gens que je trouvais effrayants savouraient les films, et semblaient devenir gentils et doux. Je me suis ainsi dit que le cinéma était une chose très bonne. Bon, pour répondre à votre question, de tous les films que j’ai vus en salle, j’ai trouvé que les plus intéressants étaient les muets. Je crois être le gars, au Japon, qui a vu le plus grand nombre de films muets. En fait, j’ai regardé tout ce qui a été fait jusqu’aux années 60 et qui était accessible au Japon. Et tous ces films m’ont influencé, car au fond, ils sont mes amis.
Durant ces années 60, vous réalisez des films expérimentaux. Comment vous êtes-vous retrouvé à tourner le long-métrage House (Hausu, 1977) pour la grande compagnie Toho ?
C’est vrai qu’à mes débuts, je n’imaginais pas du tout qu’un jour, je ferais du cinéma commercial sortant dans les grandes salles. J’étais un réalisateur très singulier, vraiment indépendant, travaillant autour de trois thèmes qui ont donné leur titre à mes films expérimentaux les plus connus : Complex, Émotion et Confession (tournés entre 1964 et 1968 – NDR). D’ailleurs, je traite ces trois notions aujourd’hui encore. Toutefois, à l’époque, j’étais très soucieux de la double nature du cinéma, qui est à la fois une technologie et un art collectif. Cela en fait un art complet, mais d’un autre côté, cela le relie forcément au pouvoir, aux autorités. Or, à l’inverse, les films en 8 mm ou 16 mm sont faits par le peuple, et je tenais donc à m’exprimer à travers ces formats réduits. À vrai dire, j’ai commencé à projeter mes oeuvres sur une toile de fortune, accrochée au mur d’une galerie d’art dans le quartier de Ginza à Tokyo. Une foule de jeunes est alors arrivée, et a fait la queue pour assister à la séance. En effet, si le milieu du cinéma ignorait mes films, les gens des Beaux-Arts s’y intéressaient beaucoup. Ils m’ont considéré comme un artiste cinématographique, et je trouvais cela bien plus chouette que d’être qualifié de « réalisateur ». J’ai donc décidé de passer professionnel dans le domaine du 8 ou 16 mm. Évidemment, à l’époque, un grand nombre d’amateurs tournaient en 8 mm, mais nous n’étions que trois à vouloir le faire de façon professionnelle. C’est ainsi que mes films ont été montrés un peu partout dans le monde, aux côtés de représentants du cinéma underground américain, comme les oeuvres de Jonas Mekas par exemple. Et à la même période, la Nouvelle Vague française a commencé à être distribuée au Japon. Voilà, je me suis aperçu que d’autres gens faisaient la même chose que moi.
La trilogie expérimentale dont vous parliez comporte effectivement des génériques en français, et le titre Émotion est écrit à la française, avec un accent sur le « E »…
Le cinéma français a toujours été dans mon coeur. J’avais évidemment vu les films classiques, comme ceux de René Clément, Marcel Carné ou Julien Duvivier. Mais c’étaient des réalisateurs de la génération de mon père. Moi, je me sentais plus proche des cinéastes de la Nouvelle Vague, comme Godard, Truffaut ou Roger Vadim. Or, leurs films étaient projetés dans des vraies salles, et cela m’a donc donné envie de projeter enfin mon travail sur grand écran. Le projet de House est né ainsi. Cependant, même si le pays comptait alors des grands studios comme Shochiku, Da [...]
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