Rencontre Nicolas Winding Refn
Dans sa préface, Alan Jones raconte que son premier contact avec le cinéma s’est produit au travers d’affiches d’épouvante, qui lui ont fait « rêver » les films avant d’avoir l’âge pour les voir. Vous avez eu la même expérience ?
Oh, oui. Quand je marchais dans la rue avec ma mère et mon beau-père et que nous passions devant des marquises annonçant toutes sortes de films extrêmes, je poussais des exclamations ébahies… pendant qu’on me tirait par la main pour m’éloigner au plus vite ! Cela s’est donc gravé dans ma mémoire, en particulier un épisode qui remonte à quand j’avais quatre ou cinq ans. Nous étions en vacances en France, probablement à Nice, et il y avait partout des publicités pour un long-métrage d’horreur, avec des cannibales. Je n’ai jamais su quel titre c’était, mais je me souviendrai toujours de cette campagne promotionnelle. Car elle exprimait quelque chose d’interdit, quelque chose de dangereux, quelque chose que vous ne pouviez pas tout à fait définir, et c’était très excitant pour moi. Plus tard, j’ai persuadé ma mère de m’acheter le livre Splatter Movies de John McCarty. Il date du début des années 80, et c’était le premier ouvrage consacré au genre aux États-Unis. On y trouvait des analyses, des entretiens avec David Cronenberg et d’autres, des articles sur Andy Milligan et Lucio Fulci. Et surtout, il y avait des photos, qui ont fait pousser des cris de dégoût à ma mère. Mais j’avais très envie de ce livre, car il recelait toutes ces images promettant la peur, qui ont été une grande inspiration en ce qui concerne mon intérêt pour le macabre.
Vous publiez L’Art du regard pour offrir la même sensation aux nouvelles générations ?
Je pense, mais en même temps, je l’ai fait pour moi. Il combine en effet tous les films que j’aurais vus si j’avais été assez âgé pour aller sur Times Square dans les 70’s. Or, je suis né plus tard, et créer cet ouvrage est donc ce qui me rapproche le plus possible de cette expérience. En outre, je voulais faire le livre d’affiches le plus cher de tous les temps. (rires) Cela a fini par me coûter 100 000 dollars, pour éditer 4000 exemplaires, dont 1000 en français. Mais j’aime l’idée de prendre ces films qui étaient considérés comme des déchets il y a 40 ans, et de les réintroduire comme de la haute culture, via un « coffee table book » de qualité. C’est presque comme transformer des boîtes de soupe en tableaux de pop art. Bref, le livre est une sorte de machine à remonter le temps, amenant vers un monde qui, en fait, n’existe pas. En effet, c’est plutôt une réalité augmentée, puisque les films eux-mêmes promettaient monts et merveilles, et je suis sûr qu’ils ne livraient pas la marchandise escomptée. Or, l’art réside justement davantage dans l’illusion que dans l’action concrète. Dans ces pages, il y a donc sans doute beaucoup du petit garçon de 9 ans que j’étais, fantasmant ces films en espérant les voir un jour. Je voulais aussi montrer aux jeunes générations que c’était un temps où on pouvait vraiment faire du cinéma extrême, tout en le déguisant sous un marketing de mélodrame ou de film éducatif. Tout le jeu consistait en effet à tricher, à cacher le vrai sujet, afin d’être autorisé à la projection. Et revenir à cet angle me permettait de rappeler que la mise en scène est une chose subliminale : les spectateurs sont pratiquement plus intéressés par ce qu’ils ne voient pas que par ce qu’il y a dans le champ de la caméra.
Vous-même, vous accordez beaucoup d’attention aux affiches de vos propres films ?
Oh, beaucoup. Je pense que tous les réalisateurs se doivent de le faire. C’es [...]
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