Rencontre : Michael Gornick et Michele De Angelis

La résurrection chez ESC de la pierre angulaire Zombie dans un master restauré 4K méritait bien une double rencontre. D’un côté, Michael Gornick, chef-opérateur de la plupart des meilleurs films de Romero. De l’autre, Michele De Angelis, restaurateur passionné. Un duo qui a travaillé main dans la main pour honorer comme il se devait le travail du grand George et amener sur nos platines une édition Blu-ray que l’on espère définitive.

MICHAEL GORNICK CHEF-OPÉRATEUR

Chef-opérateur attitré de George Romero pendant la période 1976-1985, Michael Gornick nous parle des conceptions du maître de Pittsburgh en termes de photographie, qu’il a tenu à reproduire au plus près en participant à l’élaboration du master 4K de Zombie.


Quel a été votre apport dans la restauration 4K de Zombie ?

Quand on m’a demandé d’y participer, j’ai dit à tout le monde que je voulais avoir la main aussi légère que possible. Car même si le film a été fait sous la direction de George Romero, il appartient aujourd’hui à tous les spectateurs, à commencer par ceux qui l’ont vu en salles à l’époque. Je ne voulais donc pas avoir la main trop lourde en introduisant des changements radicaux. Zombie pose toutefois quelques problèmes de colorimétrie, qui remontent en réalité à l’époque où nous avons fait le film. Certains passages dans le centre commercial, où les personnages pillent les magasins, étaient ressortis avec une dominante de couleur cyan. Nous avions essayé de l’éliminer à l’étalonnage, mais nous avions été limités par le temps et le budget, et aussi par les contraintes du travail sur la pellicule en analogique. Maintenant, à l’ère du numérique, j’ai été en mesure de retoucher les couleurs ici et là, comme je sais que George l’aurait fait s’il avait pu. Mais au-delà de ça, rien de radical.


Le responsable italien de la restauration, Michele De Angelis, nous a dit que vous aviez aussi demandé à ce que certains plans deviennent plus clairs ou plus sombres…

Exact. Là, c’est en partie dû au fait que la version internationale de Zombie a été conservée sous la forme d’un interpositif. Même si ce dernier a été très bien fabriqué à l’époque, il comporte forcément des fluctuations par rapport au négatif original impressionné par la caméra. De plus, je n’avais guère vu cette version internationale, et je n’avais donc pas supervisé le tirage des copies. Pour la première fois, j’ai ainsi pu apporter de légères corrections en termes de luminosité et de contraste, toujours en m’inspirant des directives originelles de George.


Maintenant que vous avez mis le nez dedans, que pensez-vous du montage international effectué par Dario Argento ?

Je l’aime beaucoup. En particulier, j’ai toujours apprécié le score musical des Goblin : je trouve qu’il sert parfaitement le film. Au départ, j’avais pourtant un préjugé défavorable, car j’avais travaillé main dans la main avec George pour placer les autres musiques dans notre premier montage. Mais justement, la grande victoire des Goblin a été que George a fini par utiliser beaucoup de leurs thèmes dans la version américaine. Là, ma mémoire me trahit : je ne me souviens plus si c’est par manque de temps ou par manque d’intérêt que George n’est pas allé en Italie pour assister à l’enregistrement. En tout cas, je me rappelle clairement qu’il était très content quand Dario lui a envoyé les morceaux. Il en a aussitôt pris certains pour les substituer aux musiques préexistantes, et je crois même qu’il en aurait utilisé davantage s’il n’avait pas craint que les compositeurs américains ne le poursuivent en justice. Mais pour revenir au montage international (dont la B.O. est à 100 % due aux Goblin – NDR), je trouve que son score est extraordinaire. Et de manière plus générale, je pense que c’est une bonne version, dont je suis tout à fait fier.


Pas mal de gens pensent que la version internationale est plus efficace et rythmée, notamment en Europe…

Oui, elle a plus d’énergie ! Il y a d’ailleurs une troisième version, improprement baptisée « director’s cut » (il s’agit en fait d’un montage provisoire plus long, projeté au Marché du Film de Cannes – NDR) et que j’appelle pour ma part « le montage complaisant ». En effet, il y a plus de batailles avec les motards qui font une razzia dans le centre commercial, et je trouve le résultat trop redondant et, comme je le disais, complaisant. C’est pourquoi je pense que la version internationale a une grande énergie et fonctionne très bien. Néanmoins, je regrette qu’Argento y ait effectué quelques coupes mineures, concernant par exemple certains personnages de morts-vivants, comme la bonne soeur zombie. Je garde ainsi une légère préférence pour le montage américain : il m’a accompagné pendant toute ma vie, et en outre, il recèle plus d’humour et de commentaire social.


Tout à l’heure, vous insistiez sur votre fidélité aux indications données par Romero à l’époque. Que vous avait-il dit précisément ?

En fait, c’est seulement une fois le montage terminé, quand nous sommes arrivés à l’étape de l’étalonnage, qu’il m’a exprimé ses désirs, en me parlant de ce qu’il voulait en termes d’exposition de la pellicule. En revanche, pendant le tournage, nos discussions étaient des plus brèves. Il m’indiquait l’action générale, les mouvements intervenant pendant la scène, mais pour le reste, il me laissait une grande liberté pour composer les plans. C’était d’ailleurs le cas pour tout le monde : il accordait une grande marge de créativité aux acteurs, et à tous les membres de l’équipe. Il pouvait même retenir une suggestion émise par le plus petit des machinistes. Je dis toujours que les films de George reflètent l’espèce d’anarchie collective qui régnait pendant ses tournages, où il aimait obtenir l’implication de tout le monde.



Mais par vos éclairages, vous avez essayé de transformer le centre commercial en une espèce de Disneyland de la consommation ?

C’est vrai que pour les scènes où les personnages accumulent des biens, j’ai utilisé une esthétique presque publicitaire. Cependant, mes choix variaient en fonction de l’atmosphère de chaque séquence, et de sa place dans le récit. Par exemple, les moments romantiques ont des éclairages plus travaillés. Mais en général, j’ai traité les intérieurs de façon très générique, avec une lumière assez plate et une image vraiment nette. En particulier, les grandes scènes d’action ont un éclairage presque documentaire. Quant aux extérieurs, j’ai essayé d’y retranscrire l’atmosphère de l’ouest de la Pennsylvanie, avec ses paysages plats et brumeux. J’ai donc réduit les contrastes au minimum, pour capter la réalité de l’endroit.


Vous vous êtes posé la question du rapport avec La Nuit des morts-vivants, le premier film de zombies de Romero ?

Non, car j’étais très irresponsable. (rires) J’étais jeune et plein d’orgueil, je voulais donc faire quelque chose de différent. De toute façon, Zombie n’était pas une continuation directe de La Nuit… : il en reprenait l’idée de base – les morts se relevant de leur tombe –, mais rien de plus. Les histoires étaient très différentes, et en outre, le premier film était en noir & blanc. Toutefois, je me sentais très honoré de travailler avec le maestro qui avait réalisé La Nuit…. J’ai toujours respecté son oeuvre, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’étais revenu dans ma Pennsylvanie natale, quelques années auparavant. À l’époque, j’habitais en Californie, où je travaillais dans une unité cinématographique de l’armée de l’air américaine. À la fin de mon contrat militaire, je pensais rester à Los Angeles pour aller bosser dans l’industrie hollywoodienne. Mais j’ai fait un saut en Pennsylvanie pour rendre visite à ma mère, et j’en ai profité pour rencontrer cet homme appelé George Romero, afin de le féliciter de la réussite artistique de La Nuit des morts-vivants. La suite appartient maintenant à l’Histoire : George m’a demandé de rester sur place, pour bosser sur le film qu’il s’apprêtait à tourner, intitulé The Crazies. Quand je suis arrivé sur le plateau le premier jour, on m’a demandé si je voulais bien tenir la perche du micro, et j’ai répondu : « Bien sûr ! ».


Ensuite, vous passez directeur photo sur Martin. C’était le film favori de Romero, et j’ai pu lui dire que je partageais son avis…

Oh, merci. C’est aussi mon préféré, j’adore Martin.


Pour ce film, l’idée était d’introduire une sorte d’expressionnisme dans un décor ultra-réaliste ?

C’est exact. Pour tout vous dire, je suis en train de travailler avec un distributeur anglais qui va bientôt ressortir Martin. Comme je l’ai fait pour la restauration de Zombie, je vais donc essayer de concrétiser ce que nous n’avions pas pu totalement accomplir à l’époque. Sur Martin, notre intention était de désaturer les couleurs autant que possible. Mais c’était difficile, car nous avo [...]

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