Rencontre : Larry Fessenden producteur, réalisateur, scénariste et comédien

En 30 ans de carrière, Larry Fessenden est devenu l’une des figures majeures de la scène indépendante américaine. Entre deux sessions de montage de son dernier film Depraved, le fondateur de la société new-yorkaise Glass Eye Pix a accepté de nous accueillir chez lui pour parler de ses débuts et des obstacles qu’il rencontre au quotidien.
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Larry Fessenden feuillette le numéro de Mad Movies que nous lui avons apporté – NDR. Les « arts sombres » sont importants, car ils sont là pour rappeler aux gens qu’on vit tous dans la peur. Une peur que l’on tente de gérer, même si chaque culture le fait différemment : aux USA, nous vivons dans le déni de la mort alors que nous sommes entourés d’armes.

Notamment au cinéma.

Oui, et je trouve ça drôle que les libéraux de Hollywood montrent autant d’armes dans leurs films. Le cinéma américain est obsédé par les armes à feu, c’est absurde ! (rires)


Il suffit de voir un film ouvertement anti-républicain comme le dernier American Nightmare où les héros triomphent avec une artillerie digne de militaires suréquipés.

Oui. Avec un ami, nous avions écrit un scénario traitant d’une fusillade dans une école. On y suivait un père qui tentait de faire le deuil de la mort de son fils. Ce père possédait une arme, mais on essayait de ne pas lui donner l’occasion de s’en servir. Cela aurait été absurde par rapport au message véhiculé par notre scénario. Mais, oui, les héros des films sont en général armés jusqu’aux dents, c’est une sorte de « truc » narratif qui revient sans cesse.



Vous travaillez depuis longtemps dans le milieu du cinéma indépendant. Comment peut-on encore produire des petits films à l’heure où des sociétés comme Disney semblent tout contrôler ?

C’est le but de notre compagnie Glass Eye Pix. Notre volonté n’est pas de gagner de l’argent, mais nous obtenons suffisamment de fonds pour perdurer. Déjà, je n’essaie pas de faire grossir ma société, même si j’aimerais un jour produire un film doté d’un budget plus important, quelque chose qui pourrait retenir l’attention des gens. Bien sûr, on essaie toujours d’obtenir de l’argent ou de trouver un acteur bankable pour pouvoir monter nos projets, mais le processus est souvent tellement fastidieux que je finis par dire : « Faisons-le sans attendre ! ». Ça c’est excitant ! Puis, comme je suis un environnementaliste et que je m’intéresse à la nature, j’essaie d’aborder ce sujet, ou du moins de faire bouger les choses à mon échelle. En revanche, je ne cherche pas à me limiter à un seul genre, ce serait même plutôt le contraire. Déjà, cela peut se révéler plus efficace pour un film d’horreur de ne pas dire son nom : le public ne peut pas anticiper les scènes de terreur. Alors que dans Les Dents de la mer par exemple, la musique ne laisse planer aucun doute. C’est jouissif, certes, mais personnellement, j’aime aussi me plonger dans un environnement plus naturaliste et voir les choses se déliter petit à petit, devenir de plus en plus barrées. Du coup, le spectateur se met à avoir des soupçons : « Est-ce que ce personnage n’est pas un peu bizarre ? »… Le genre de questions qu’on peut se poser dans la vraie vie. J’essaie de retranscrire et d’exagérer ce sentiment à l’écran, c’est vraiment le genre de choses que j’aime voir. Mais je produis n’importe quel style de film, pour peu que je croie en la vision du réalisateur. D’ailleurs, des tas de gens m’envoient leur script, mais je n’ai pas les moyens de m’en occuper ! Tout ce que je produis est le fruit du hasard. Le point commun de ces projets, c’est qu’ils n’ont rien de commercial. (rires) Mais ce que j’aime surtout, c’est la conception artisanale d’une oeuvre.


New York a toujours été le fief de sociétés de production comme la vôtre ou la Troma, qui produisent des films à petit budget. Mais si on regarde les chiffres, on constate que ces budgets ne cessent de baisser, tout comme les scores au box-office… Constatez-vous une paupérisation du cinéma indépendant ?

En effet. Avant, on faisait des films pour un million de dollars. Des titres comme The House of the Devil ou Stake Land. Aujourd’hui, on produit des longs comme Like Me, The Ranger ou Psychopaths pour 250.000. En général, mes films coûtent un demi-million de dollars. Mais ce n’est pas facile, car le milieu du cinéma indépendant a effectivement changé. Les gens veulent acheter des films pour une somme dérisoire. Mais le bon côté des choses, c’est que le cinéma de genre reste très vendeur, c’est une niche. Mon dernier long est une relecture de Frankenstein, ça intrigue les gens. La star du film, c’est le genre. 


Vous parvenez tout de même à gagner de l’argent ? Avant, il y avait les entrées en salles, sans parler du marché de la vidéo… 

Maintenant, il n’y a que le streaming. La vente d’un film ne couvre même plus les coûts de production. En étant ambitieux, on peut réussir à bénéficier d’une petite sortie cinéma, mais ça ne reste qu’une sorte de campagne publicitaire afin de promouvoir la sortie en VOD. J’ai de la bouteille, donc je peux toujours appeler quelques types et leur proposer de sortir un de mes films dans leurs salles, histoire d’avoir une critique dans le New York Times. Mais c’est un modèle dépassé. Maintenant, Amazon, Netflix et Shudder donnent le ton. Le cinéma indépendant est mourant à cause des super-héros et du modèle instauré par Jason Blum. J’aime bien certains de ces films, mais c’est vraiment dur. 



Vous avez débuté en tant que réalisateur en 1981 avec A Face in the Crowd

Oui, je l’ai tourné en Super 8 en 1979. J’avais recours à des pistes sonores très complexes que je jouais sur un magnétophone en même temps que la projection. Parfois, le résulta [...]

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