Rencontre Junji Ito

Auteur de mangas parmi les plus terrifiants de l’Histoire de la bédé, plusieurs fois adapté – et trahi – au cinéma (TOMIE, UZUMAKI, GYO…) et récemment rattaché avec Hideo Kojima et Guillermo del Toro au projet vidéoludique abandonné SILENT HILLS, Junji Ito est une personnalité majeure de la culture horrifique mondiale qui méritait bien son coup de zoom estival.
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À quand remonte votre goût pour l’étrange ? Y a-t-il une ou plusieurs images de mangas qui vous ont particulièrement marqué dans votre jeunesse ?

Lorsque j’étais enfant, je lisais les mangas qui se trouvaient dans la bibliothèquede mes deux grandes soeurs. Ellesétaient particulièrement friandes des histoires de Kazuo Umezu (1) et de Shinichi Koga (2). J’ai donc grandi en me nourrissant des bizarreries qu’on pouvait trouver dans les univers de ces deux auteurs. Si vous voulez des titres précis, je citerai Miira Sensei (1967, inédit en France – NDR) et Noroi no Yakata (1967, inédit en France également – NDR), deux mangas de Umezu qui m’ont particulièrement marqué. 

On note une influence décisive de Umezu sur votre travail, notamment dans l’utilisation très puissante des gros plans sur les yeux des personnages.

Complètement. Kazuo Umezu m’a énormément influencé. Mon découpage doit beaucoup à son travail, c’est une évidence. Je me souviens qu’à mes débuts, mon style était encore balbutiant et mon découpage était très monotone : je n’utilisais pas vraiment de gros plan et tout ça manquait clairement d’efficacité. Mon éditeur de l’époque me demandait alors d’accentuer l’impact de certaines cases en dessinant justement des plans bien plus serrés. Ça m’a beaucoup aidé, je dois l’avouer, et j’ai pu trouver le meilleur aménagement possible à mes scènes horrifiques. 

Vous partagez également avec Umezu le goût du romantisme tragique…

Vous trouvez ? Je ne sais pas, je dirais que mon penchant pour ce que vous qualifiez de « romantique » m’est totalement inconscient. Cela dit, je suis persuadé que pour rendre attachant un personnage, il faut le dessiner de manière honnête, vous comprenez ? J’entends par là qu’il faut que le lecteur sente qu’il a affaire à quelqu’un de « pur », peut-être est-ce cela que vous qualifiez de « romantique » ? Ne serait-ce pas une sorte de naïveté consciente ? C’est quelque chose qu’on retrouve aussi chez Kazuo Umezu.

Votre expertise médicale (Junji Ito est dentiste de formation – NDR) a-t-elle eu un rôle dans le caractère profondément organique de votre style ?

Oui, surtout quand il s’agit de dessiner… des dents ! Là, j’essaie d’être le plus précis possible. Vous savez, chaque dent possède sa propre caractéristique, que j’espère respecter du mieux que je peux. Pour le corps humain dans son ensemble, je me réfère aux cours d’anatomie de mes années d’études. D’ailleurs, je consulte encore ces ouvrages médicaux qui m’ont servi dans ma jeunesse. J’en connais même par coeur les noms latins qui en composent le lexique. 

Votre dernier ouvrage publié en France, Le Journal des chats (disponible aux éditions Delcourt/Tonkam – NDR), s’écarte de l’horreur frontale à laquelle vous nous avez habitués. Était-ce une envie ?

Non, non, je ne souhaitais pas vraiment sortir de l’ornière horrifique. J’ai simplement eu une petite période de latence entre deux séries prépubliées chez le même éditeur, période durant laquelle j’ai commencé à travailler sur Yuukoku no Rasputin (2010, inédit en France – NDR), une histoire politique, pour une autre maison d’édition. J’avais du temps car j’attendais le scénario complet de ce manga, adapté du roman de l’ancien diplomate Masaru Sato arrêté par les autorités russes pour espionnage, et au même moment, un éditeur m’a contacté pour travailler sur une histoire qui tournerait autour d’un chat. C’est drôle, car il avait repéré dans mon manga Soïchi un petit chat, et il s’est dit qu’il serait intéressant de me voir dessiner plusieurs histoires autour de cet animal. C’est tombé au bon moment, puisque moi-même, je venais d’acquérir un chat et je me suis amusé à l’observer et à réfléchir à plusieurs récits dont il serait, on peut dire, le « héros ».

Mais sous une apparence doucereuse, Le Journal des chats

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