Rencontre : Jeremy Thomas producteur
Comment avez-vous été amené à coproduire plusieurs films de Takashi Miike, dont le récent First Love, le dernier yakuza ?
Ah, Miike-san ! Je suis un grand fan de ses films depuis que j’ai vu Audition. Ce dernier était si incroyable que je m’étais dit : « Ouah, je veux absolument travailler avec ce mec-là ! ». Or, j’avais à l’époque le projet d’adapter à l’écran un livre très, très étrange de Junichirô Tanizaki, et j’ai pensé que Miike était le réalisateur qu’il fallait pour un film aussi audacieux. Par l’entremise d’un ami, je l’ai donc rencontré il y a onze ans, au Festival de Venise. Cette réunion s’est très bien passée, mais quelques semaines plus tard, il est revenu vers moi pour m’annoncer que le long-métrage qu’il voulait faire était 13 assassins. Comme le scénario me plaisait, je suis rentré dans l’affaire, et c’est ainsi qu’a commencé ma relation avec Miike et ses producteurs japonais. Cela dit, l’envie d’adapter le bouquin de Tanizaki grandit toujours en moi : je pense que ça donnerait un film incroyable. De plus, j’aime beaucoup le cinéma japonais en général, et je travaille en son sein depuis maintenant quatre décennies.
Votre carrière est très internationale, mais vous n’avez pas eu de problèmes avec le milieu du cinéma japonais, qui a la réputation d’être assez fermé aux étrangers ?
D’abord, bien que cela soit dur à croire, je n’ai jamais prévu d’avoir une carrière internationale. C’est juste arrivé, parce que je suivais mes envies. Le fait est que je suis un grand voyageur : je suis toujours prêt à prendre un avion pour trouver quelqu’un à voir, quelque chose à faire. C’est ainsi que j’ai travaillé partout dans le monde, par exemple au Mexique ou au Brésil. En ce moment, j’envisage d’ailleurs d’adapter un livre dont l’action se déroule en Amazonie. Cependant, je reste évidemment très intéressé par l’Asie – j’ai fait 17 films sur ce continent. Quant au Japon en particulier, j’y avais été invité par Nagisa Ôshima, pour produire Furyo. Je l’avais rencontré au Festival de Cannes, l’année où il présentait L’Empire des sens. Puis – je crois que c’était février 1980 –, je l’ai rejoint au Japon. Ôshima était un personnage incroyable, très radical et très impliqué politiquement, et c’était donc super de découvrir le pays avec lui. De plus, Furyo a eu beaucoup de succès au Japon, et tout cela m’a permis de gagner la confiance de l’industrie cinématographique locale. Bien plus tard, Ôshima et moi avons fait Tabou. Entre-temps, il y avait eu un gap dans sa carrière, à cause de la maladie – il avait eu une crise cardiaque. Cela nous a empêchés de mener à bien un autre projet. Nous développions en effet un long-métrage sur l’histoire de Sessue Hayakawa, le premier acteur superstar japonais. Cela aurait donné un film situé dans le milieu du cinéma, mais dans le style d’Ôshima. Le scénario était dû à Paul Mayersberg, qui avait déjà écrit Furyo et aussi L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg. C’est tombé à l’eau, mais je veux toujours porter ce script à l’écran.
Sessue Hayakawa, l’acteur qui jouait à Hollywood dans les années 1910, notamment pour Cecil B. DeMille ?
C’est très cool de pouvoir parler avec un cinéphile, car très peu de producteurs le sont. Pour ce qui est de l’architecture, de l’art, de la musique classique, du théâtre, vous n’aurez aucune crédibilité si vous ne connaissez pas l’Histoire du domaine où vous travaillez. Mais dans le milieu du cinéma, tout le monde pense qu’il n’y a pas besoin d’être un expert, car c’est chacun ses goûts. Peut-être est-ce un peu différent en France. Moi, je n’ai pas eu une trajectoire traditionnelle. Je maîtrise le côté business, mais à l’intérieur du producteur que vous avez devant vous, il y a aussi un autre homme, qui a été monteur et qui pourrait être réalisateur ou scénariste.
Les professionnels avaient plus de culture cinématographique à l’époque de vos débuts ?
L’Histoire du cinéma était de toute façon plus courte alors, car c’étaient les années 1960. Mais je suis forcément un cas particulier, car mon père et mon oncle (Ralph et Gerald Thomas – NDR) étaient des réalisateurs. J’ai donc grandi dans le monde du cinéma, en allant dans les studios et en voyant des acteurs célèbres qui venaient à la maison. De plus, mon père, qui adorait son métier, possédait un projecteur 16 mm, et j’ai ainsi eu accès à de nombreux films britanniques et même français. Cela m’a donné le virus du cinéma. Comme mon oncle, mon père avait débuté comme monteur, avant de devenir un réalisateur sous contrat avec les studios. Il n’en a pas moins fait de très bons films, tel [...]
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