Rencontre : Jean-Francois Davy

Grosse actu pour l’homme portant la rare double-casquette réalisateur/éditeur vidéo : un nouveau long-métrage en salles (la comédie Vive la crise !), la création du label MOVinside et un coffret DVD fêtant ses 50 ans de cinéma. Avec Davy, nous sommes surtout revenus sur ses films pour adultes et sur son essai d’épouvante Le Seuil du vide, l’occasion d’évoquer le regretté romancier-scénariste André Ruellan/Kurt Steiner, maître de l’étrange récemment disparu.

Comment avez-vous été amené à réaliser Le Seuil du vide, d’après un roman de la collection Angoisse du Fleuve Noir ?

Il faut d’abord savoir que seulement deux films ont été tirés d’un roman de la collection Angoisse : Les Yeux sans visage de Franju, et Le Seuil du vide. Un ami m’avait donné le bouquin de Kurt Steiner alias André Ruellan, en me disant : « Lis ça, c’est formidable. ». Je l’ai dévoré, et j’ai aussitôt décidé de prendre une option pour en faire une adaptation. J’ai vraiment été passionné par cette collection composée de petits livres qu’on lisait très vite, grâce à une écriture simple et populaire qui allait droit au but. André Ruellan m’a d’ailleurs raconté qu’il avait rédigé ces bouquins-là en trois semaines, à peine. Il avait une trame, puis il partait dans l’histoire de ses personnages, en inventant tout au fur et à mesure. Je trouve qu’à la lecture, on sent cette espèce de fugacité. En effet, il m’avait semblé évident de rencontrer l’auteur du Seuil du vide. J’ai donc fait la connaissance d’André au café Les Deux Magots à Saint-Germain-des-Prés, et nous avons immédiatement flashé l’un sur l’autre. Disons qu’il était assez enthousiasmé par mon enthousiasme à adapter son roman ! Pourtant, il était alors en train d’écrire Le Distrait de Pierre Richard, dont il avait été à l’initiative – car c’est lui qui, en revisitant Les Caractères de La Bruyère, a eu l’idée de proposer le personnage du Distrait à Pierre Richard et Yves Robert, qui a produit le film. Mais André était d’une telle modestie qu’il a été d’accord pour que nous adaptions son roman ensemble. Ce n’était pas très longtemps après Rosemary’s Baby de Polanski, qui m’avait beaucoup impressionné. J’ai ainsi essayé d’en retenir les leçons, pour faire un film avec une double interprétation psychanalytique et fantastique. C’est-à-dire que le spectateur se demande toujours si le personnage est fou, en gros, ou bien s’il vit vraiment une histoire échappant totalement au réel.


Vous avez apporté des modifications au livre ?

Ah ben, énormes ! Le travail d’adaptation a duré plus d’un an. D’abord, je voulais faire quelque chose de moderne, avec un personnage très contemporain – nous étions en 1970. Soit une jeune femme qui part vivre sa vie à Paris après avoir habité en province, qui veut s’émanciper, voler de ses propres ailes, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque. Elle se trouve ensuite confrontée à une situation qu’on peut décrire ainsi : elle devient la proie d’un groupe occulte qui s’empare de la jeunesse de ses victimes, pour que ses membres puissent se régénérer et retrouver la vie qui est en train de les quitter. C’est un peu le thème de Faust. Avec André, nous avons accompli un gros boulot, et surtout, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. Même si j’avais déjà réalisé quatre longs-métrages, j’étais encore très jeune, j’avais 25 ans, et il m’a vraiment éduqué, en m’embarquant dans l’univers de l’étrange et du surnaturel. Bien que Nadja ait été un de mes livres de chevet quand j’étais plus jeune, cet univers était assez nouveau pour moi. En particulier, André m’a fait fréquenter des gens comme Jacques Sternberg, Roland Topor, Philippe Curval et autre Jacques Goimard, qui formaient le club des passionnés de surréalisme, étant un peu les héritiers d’André Breton. Avec eux, j’ai appris que les genres étaient le moyen le plus intéressant d’échapper au réalisme, pour rejoindre la poésie et l’onirisme. Du coup, les frontières sont artificielles entre le fantastique, le polar, l’humour noir, l’absurde. Prenez par exemple Roland Topor : on le classe comment ? Même si Le Seuil du vide est mon seul film purement fantastique, j’ai ainsi poursuivi la même recherche tout au long de ma carrière. Entre autres, il y a de l’étrange et de l’absurde dans Chaussette surprise, et aussi dans Vive la crise !, mon tout dernier long-métrage. L’auteur de l’histoire y apparaît à plusieurs reprises, dès la première image, jusqu’au moment où il rentre dans le film pour se confronter à ses propres pe [...]

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