Rencontre Frank Henenlotter

L’auteur de SEX ADDICT et ELMER LE REMUE-MÉNINGES était invité par le festival OFFSCREEN de Bruxelles (voir le compte-rendu sur notre site Internet) pour deux choses : une causerie sur la mythique 42e rue de New York, où s’alignaient jadis les temples vétustes du cinéma bis, et la projection de THAT’S SEXPLOITATION !, docu où il retrace l’épopée des films érotiques US, des innocents effeuillages des « nudies » aux agressions charnelles du genre plus rude des « roughies ». Visite des basfonds du 7e Art avec un guide irremplaçable.
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D’où est venu le projet du documentaire
That’s Sexploitation ! ?

C’est quelque chose dont nous avions toujours parlé avec Mike Vraney, le propriétaire de Something Weird Video, avec qui j’ai été associé pendant 16 ans, jusqu’à sa mort récente. Nous avons ainsi connu une folle équipée, et deux jours avant de décéder, Mike m’a dit : « Tu sais, nous avons fait quelque chose de super. Grâce à nous, les films de merde sont devenus grand public en Amérique. ». Car vous pouvez maintenant entrer dans n’importe quel magasin et acheter les pires séries Z. Bref, nous avons rendu acceptable l’inacceptable, en retrouvant, restaurant et éditant des films perdus dont l’Amérique aurait souhaité qu’ils restent perdus ! (rires) Du coup, nous étions trop occupés à sortir des DVD à la chaîne, et en plus, nous ne voyions pas comment fourrer toute la sexploitation dans une durée de deux heures. Or, l’ironie est que Mike n’avait pas du tout anticipé sa mort : il se préparait plutôt à vendre la société pour prendre sa retraite. Nous avons donc songé à partir sur un haut fait de gloire, et nous avons d’abord fait le documentaire Herschell Gordon Lewis: The Godfather of Gore, tourné par Jimmy Maslon et dont j’ai repris le montage à un certain moment. Quand j’en suis arrivé à la partie sur les nudies et les films de camp naturiste, j’ai vu tout à coup comment faire ce doc sur la sexploitation : en assemblant non pas des extraits entiers, mais de brèves images complètement dingues. Une autre chose importante a été la première projection publique de The Godfather of Gore. Pendant la séquence sur les nudies de Lewis, les gens qui riaient le plus fort dans la salle étaient les femmes. À l’époque, ces films étaient offensants pour elles, mais maintenant, elles se rendent compte que la blague est dirigée en réalité contre les hommes. (rires) Il faut comprendre que la sexploitation date d’une période où vous ne pouviez pas voir de seins nus dans le cinéma hollywoodien. La seule raison d’être de ces péloches était ainsi de montrer des nichons, et encore, d’une manière toujours frustrante : pour des motifs légaux, on n’avait pas le droit de tourner de vraies scènes de sexe, et la nudité était de toute façon partielle, les filles devant garder leurs sous-vêtements. Même dans les bandes naturistes, elles se tiennent derrière des buissons, ou portent de gros objets dans leurs bras ! Bref, je me souviens que Mike m’a dit ce soir-là : « Ouais, nous allons faire That’s Sexploitation ! ». Car ça n’aurait servi à rien de se mettre à dos la moitié de l’humanité. (rires) Même quand j’ai abordé le genre des roughies, je me suis tenu à l’écart des scènes de viol. Il y a bien quelques flagellations, mais ce n’est pas aussi affreux que cela ne l’était. Une chose affreuse mais que nous devions au contraire montrer, ce sont ces films hygiénistes où on voit des accouchements et des pénis souffrant de maladies vénériennes. J’ai cependant réduit ces derniers à une série de flashes de quatre photogrammes, conclue par un plan de femme qui crie, pour que tout le monde ait un éclat de rire libérateur. Tout cela pour dire que le documentaire est à prendre comme une comédie, qui traite du paradoxe fou de l’Amérique : haïr le sexe tout en l’adorant.

Le résultat est surprenant car il donne l’impression d’un flux d’images courant de la fin du cinéma muet à l’année 1970…

Vous vouliez vraiment voir ma tête ? J’apparais un peu à l’écran pour assurer des transitions et expliquer certaines choses, mais je laisse surtout la parole au producteur Dave Friedman, que nous avons filmé peu avant sa mort. Nous avions besoin de lui, car il était une autorité en la matière. Et pour le reste, je me suis concentré sur l’absurdité des extraits. Écoutez, nous avons une femme nue à grosse poitrine pourchassant une cigogne – qu’est-ce que c’est ça !? Un autre plan que j’adore montre une fille dans une petite pièce, seulement habillée d’un tuba et de palmes de plongeur – qui ferait un truc pareil ? Ainsi, les films sont peut-être stupides, mais ils recèlent une certaine beauté visuelle, car les images ont un potentiel de tension, un potentiel de fiction qui leur est propre. Par exemple, une fille escalade une clôture pour aller sur le toit d’une espèce de bâtiment, où elle se désape avant de partir. On se demande de quel genre de réalité il s’agit, car il y a quelque chose de spécial dans la manière dont c’est tourné, avec un château d’eau à l’arrière-plan du toit. Je ne sais pas… J’ai un grand amour pour ces images en dépit de leur absurdité, j’adore leur simple fluidité. Et c’est drôle, car elles sont dues à des gens qui n’étaient pas des artistes mais des hommes d’affaires, à moins qu’ils aient effectivement été des artistes. Le paradoxe est fascinant, et c’est pourquoi j’ai renoncé à évoquer des personnalités comme Russ Meyer, qui était un vrai cinéaste faisant des oeuvres avec du sexe dedans. Honnêtement, les réalisateurs artistiques et les films artistiques, c’est quoi ? A peine 5 % du volume total de la sexploitation. Le reste constitue la production typique, où ce qui tient lieu d’intrigue, ce sont les nichons ! Je ne sais pas si c’est une bonne excuse, mais le fait est que pendant le montage, il y a eu un moment où je me suis dit : « Oh mon Dieu, il va bien falloir terminer ça un jour. ». 


Par exemple, vous auriez voulu aborder les tout premiers pornos, comme le fameux
Necromania d’Ed Wood, que vous avez édité chez Something Weird ?

Mike Vraney a été le premier à retrouver Necromania, via une copie 16 mm dénichée… dans un marché aux puces. Il m’a appelé pour me dire qu’il n’y avait aucun titre, et j’ai alors ouvert un livre dont je me souvenais qu’il contenait une photo du film, avec l’image d’un hibou accrochée au mur. À l’autre bout du fil, j’entendais le bruit du projecteur, puis soudain la voix de Mike qui hurlait : [...]

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