Rencontre : Derrick Borte

Sorti cet été au cinéma dans des conditions particulières liées à l’épidémie de COVID-19, Enragé débarque ce mois-ci en vidéo dans les bacs hexagonaux via M6 Vidéo. Une bonne raison pour aller à la rencontre de son réalisateur, l’Américain Derrick Borte, dont la filmographie hétéroclite et passionnante illustre de front la part des ténèbres de l’être humain…
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Enragé entretient d’évidentes similitudes thématiques et visuelles avec American Dreamer, votre long-métrage précédent. 

C’est vrai que les personnages principaux partagent des points communs : ce sont tous les deux des hommes d’âge mûr qui refusent d’assumer leurs responsabilités face aux situations qu’ils rencontrent. Un peu comme s’ils se sentaient invincibles. Et si ces deux personnages règlent leurs problèmes respectifs d’une manière différente, il est clair qu’ils partagent une certaine colère. 


En quoi Enragé représentait-il un défi pour vous ? 

American Dreamer a été tourné avec un budget bien plus modeste qu’Enragé. Les gens de Solstice (société de production en charge d’Enragé – NDR) ont vu le film et ont décidé de m’envoyer le scénario, et j’y ai vu l’opportunité de travailler sur quelque chose de plus spectaculaire : il y avait plus de cascades, plus de ressources… Le projet représentait un véritable défi. Et lorsque Russell Crowe s’est retrouvé impliqué, le projet n’en est devenu que plus excitant. Avec Russell, on a vraiment cherché à créer un personnage fort, et ce fut un véritable plaisir de travailler avec lui.


Son personnage est fascinant car il reste une énigme, à la manière du John Ryder de Hitcher. Ce qui n’empêche pas Russell Crowe d’apporter de nombreuses nuances à son interprétation.

Russell et moi avons beaucoup parlé du personnage. Selon moi, cet homme n’a plus beaucoup d’humanité en lui. Il est un peu comme le requin des Dents de la mer : il apparaît pour commettre un crime puis disparaît d’un coup, et on ne sait jamais quand il surgira à nouveau. C’est un protagoniste beaucoup moins défini que le héros de Chute libre, par exemple.



Lors d’une scène vers la fin du second acte, il semble comprendre qu’il a atteint le point de non-retour. On sent dans son regard que ce type se rend compte de l’horreur de ce qu’il s’apprête à commettre…

Oui, et ce genre de scènes nécessite un acteur aussi incroyable que Russell, car il peut transmettre énormément d’informations rien qu’avec ses yeux. On en revient à l’aura de mystère que vous mentionniez : que ce soit avec son regard ou sa façon de se mouvoir, Russell est capable de donner des éléments au spectateur tout en préservant l’énigme que constitue son personnage. Il parvient toujours à trouver le ton juste, et c’est vraiment l’une des choses que j’ai le plus appréciées lors du tournage : voir comment travaille un comédien de sa stature. 


Le prologue où son personnage rumine son malaise dans sa voiture est assez puissant. D’abord grâce à son interprétation, mais aussi à votre approche visuelle et sonore. Notamment l’utilisation son lancinant des essuie-glaces : c’est un effet très simple mais extrêmement efficace.

Ce n’est jamais facile d’entamer un long-métrage avec une scène comme celle-ci, car on peut avoir du mal à trouver un angle d’attaque. On a donc essayé de faire une sorte de « film dans le film » pour que cette séquence possède sa propre construction narrative. Je pense que ça fonctionne à l’écran, les spectateurs semblent vraiment bien réagir à cette intro.


Le film étant classé R, vous vous autorisez quelques scènes particulièrement brutales. Vos producteurs ont-ils tenté de vous freiner un peu pour viser une classification PG-13 et séduire ainsi un plus large public ?

Personne ne m’a franchement poussé dans cette direction, car je crois que tout le monde était conscient que le but d’Enragé était de montrer ce qui se passe dans le monde réel, un monde plein de brutalité. Il fallait donc que le film semble authentique, d’autant que le public est de plus en plus désensibilisé à la violence, que ce soit à cause des found footage ou des images de caméra de surveillance qu’on peut voir aux infos ou sur le Net. Enragé devait montrer à quel point le monde peut être violent. Car c’est la réalité.


À ce sujet, le générique d’ouverture est vraiment équivoque. 

Avec ce générique, nous avons voulu explorer plus en profondeur le sentiment provoqué par le prologue dont nous parlions plus tôt. Il fallait plonger le spectateur dans cet univers où il suffit de klaxonner le mauvais type, au mauvais endroit et au mauvais moment, pour se retrouver dans la mouise. C’était un avant-goût de la réalité que nous voulions montrer au spectateur.


Ce sentiment de réalisme est accentué par le fait que Rachel, l’héroïne campée par Caren Pistorius, est loin d’être parfaite. Elle peut aussi faire montre de mauvais esprit ou prendre des décisions contestables…

Bien évidemment, elle ne mérite pas ce qui lui arrive, mais en même temps, le personnage de Russell Crowe n’a pas tout à fait tort lorsqu’il dit que les gens ne savent plus s’excuser. Nous devenons tous un peu trop individualistes, et plus personne ne veut assumer ses actes. Le fait que Rachel soit imparfaite permet au spectateur de s’identifier à elle, alors le personnage de Russell, lui, a atteint un point de non-retour : il pense que la violence est désormais son seul moyen d’être entendu. 


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