Rencontre David S. Goyer

Comptant aujourd’hui parmi les scénaristes les plus influents de Hollywood, David S. Goyer a contribué à façonner la pop culture en participant à des oeuvres qui ont laissé de sacrées traces, de Dark City à Batman Begins en passant par Blade II. Dans cet entretien pré-confinement, réalisé dans un monde où le très attendu Affamés de Scott Cooper– qu’il a coproduit en compagnie de Guillermo del Toro –, devait sortir courant avril, il nous parle de son parcours et des dates-clés de sa carrière.
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En tant que film d’horreur adulte qui refuse le second degré et ne vise pas particulièrement le public adolescent, Affamés ne rentre dans aucune des cases marketings qu’affectionne aujourd’hui Hollywood. Cela a-t-il posé problème ?

Eh bien, dès le début, Affamés a été pensé comme un « petit » film. Ce que j’adore dans l’horreur, c’est qu’elle permet de se focaliser sur un canevas cinématographique moins étendu que celui d’autres genres. L’horreur fait appel à la claustrophobie, s’intéresse souvent à des personnages isolés, livrés à eux-mêmes… Quand j’ai commencé à développer Affamés, je l’imaginais déjà comme un projet à 14 ou 15 millions de dollars. Par nature, le studio Searchlight cherche plutôt des projets dont le budget se situe en dessous des 20 millions. D’un côté, cette logique économique nous a mis face à un challenge pour tout ce qui avait trait à la créature et aux effets visuels. Mais d’un autre côté, cela nous a forcés à soigner notre préparation, même si nous n’avions pas de poursuite en voiture ou autre séquence ultra spectaculaire. 


À quel moment du projet êtes-vous monté à bord, et qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire partie ?

En fait, ça a commencé avec moi ! Le coscénariste Nick Antosca et moi sommes amis depuis longtemps, il a notamment travaillé sur un petit film que j’ai produit appelé La Forêt (2016, de Jason Zada – NDR). Nick avait écrit une nouvelle qu’il m’a fait lire, et qu’il comptait publier dans un magazine littéraire américain. Le titre en était The Quiet Boy, et j’ai beaucoup aimé, à tel point que j’ai immédiatement voulu travailler avec lui pour en tirer un scénario de long-métrage. Nous avons fait appel à un autre scénariste, C. Henry Chaisson, pour épauler Nick. Nous avons fait deux versions, je crois, avant d’obtenir quelque chose qui nous satisfaisait. À l’époque, je travaillais avec mon ami Guillermo del Toro pour la Fox sur un gros projet qui est toujours en gestation, une relecture moderne du Voyage fantastique de Richard Fleischer, à laquelle collabore également James Cameron. Guillermo m’a un jour parlé – c’était avant la sortie de La Forme de l’eau – d’une discussion qu’il avait eue avec les responsables de Fox Searchlight – pardon, Searchlight tout court. (rires) Ceux-ci lui avaient proposé de produire pour eux d’autres films de genre. Il m’a alors demandé si j’avais sous le coude des scripts qui entreraient dans cette catégorie, et je lui ai répondu : « Eh bien, figure-toi qu’avec Nick et Henry, nous venons de finir la deuxième version d’un scénario qui pourrait parfaitement convenir ! ». Je lui ai fait lire, il a beaucoup aimé. Il se trouve que Guillermo et moi partageons une passion pour la légende du Wendigo, qui a déjà été plusieurs fois adaptée par le passé, notamment sous la forme d’une nouvelle par l’auteur Algernon Blackwood en 1910. Bref, nous avons montré le script à Searchlight, ils ont beaucoup aimé eux aussi, et nous avons commencé à réfléchir à un possible réalisateur. Nous en avons contacté quelques-uns, et nous avons alors entendu dire que Scott Cooper voulait élargir ses horizons dramatiques en s’essayant à un pur film de genre. Nous l’avons rencontré, lui aussi a beaucoup aimé le script… En fait, tout ça s’est mis en place assez rapidement. Scott a demandé à faire une repasse sur le scénario afin de creuser un peu les relations entre les personnages. Je ne me rappelle pas du timing exact, mais je crois qu’entre le moment où nous avons montré le script à Scott et le premier jour de tournage, il ne s’est pas écoulé plus de six mois. Par rapport aux temps de développement habituels à Hollywood, c’est vraiment rapide. Nous avons décidé assez tôt de tourner à Vancouver, et nous avons employé pas mal de membres-clés de l’équipe que Guillermo avait montée pour The Strain et La Forme de l’eau. J’ai suggéré le chef-opérateur Florian Hoffmeister à Scott, car j’avais été très impressionné par son travail sur la série The Terror.



Scott Cooper nous a expliqué qu’il avait l’impression de déjà faire des films d’horreur avant Affamés

C’est vrai, ses films ne rechignent jamais à décrire des choses atroces, comme dans Hostiles. La violence fait partie intégrante de son travail. Tous les films d’horreur sont des allégories. Affamés en est une, sur la situation alarmante des classes moyennes, sur la crise des opioïdes, sur le changement climatique et l’état de la planète… Beaucoup des thèmes que Scott aime explorer depuis ses débuts réapparaissent ici. Et avant tout, c’est un film centré sur les personnages. D’ailleurs, nous avons évoqué très tôt le nom de Keri Russell pour interpréter Julia. J’étais un grand fan de la série The Americans et je trouve qu’elle y a livré une performance incroyable. Dès que nous avons parlé d’elle avec Guillermo, nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’elle serait parfaite.


Remontons un peu dans le temps, si vous le voulez bien… Vous rappelez-vous du jour où vous vous êtes assis derrière un bureau et que vous vous êtes dit : « OK, je vais écrire mon premier scénario. »

(rires) Eh bien, ce n’était pas quelque chose que je voulais faire depuis l’enfance. À l’époque, mon fantasme était de devenir scénariste de comic-books pour Marvel. Plus tard, j’ai voulu devenir enquêteur de police afin de travailler sur des affaires de meurtre, j’avais même décidé de faire des études dans ce sens. Mais alors que j’étais au lycée, un de mes professeurs m’a suggéré de m’inscrire à un programme d’écriture de scénario de l’université de Californie du Sud. Je ne connaissais personne dans l’industrie du cinéma, je n’avais encore jamais rédigé de script, et c’était à une époque « pré-Internet ». J’ai grandi dans la classe moyenne du Michigan avec une mère célibataire, et tout cela me semblait être aussi lointain qu’une planète extraterrestre… Mais j’ai tout de même tenté ma chance, je crois qu’ils ont reçu environ 2000 candidatures et n’ont retenu qu’une vingtaine de personnes, et j’ai eu la chance d’être l’un de ceux-là… Puis j’en ai parlé avec ma mère, et elle m’a dit qu’elle pouvait seulement m’aider à payer un semestre, et que pour la suite, j’allais devoir décrocher une bourse. Et c’est donc de cette façon que tout a commencé.



La « légende » dit qu’après avoir vendu votre premier script – celui de Coups pour coups avec Jean-Claude Van Damme –, vous avez immédiatement acheté une voiture. Et qu’on vous l’a volée le jour suivant… C’est vrai ?

(rires) Oui, c’est tout à fait vrai ! J’ai reçu ce premier chèque, je l’ai déposé à la banque, puis je suis allé voir un concessionnaire automobile, car à l’époque, je conduisais une très vieille Toyota Corolla au kilométrage conséquent que j’avais achetée 750 dollars avec mon coloc’ de la fac’. Et la voiture que j’ai achetée ce jour-là a en effet été volée le lendemain. Mais cette histoire a finalement connu une fin heureuse : à l’époque, en Californie, quand vous achetiez une voiture neuve, le vendeur devait obligatoirement l’enregistrer sous sa propre assurance pendant 48 heures après la vente, car vous ne pouviez pas qu [...]

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