Rencontre : Bertrand Mandico

Une robinsonnade qui tourne au fantastique sexuel, des paysages réels filmés comme des décors de studio (et inversement), de jeunes hommes joués par des actrices androgynes, un noir & blanc somptueux lardé de jaillissements colorés… Déjà auteur d’une palanquée de courts surréalistes, Bertrand Mandico nous ouvre certaines des portes d’entrée sur Les Garçons sauvages (voir la critique en encadré), premier long-métrage foisonnant où se bousculent un tas d’influences diverses.
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LONG-MÉTRAGE/ROMAN D’AVENTURES
« Si j’ai réalisé beaucoup de courts-métrages, c’est aussi parce que j’ai écrit pas mal de longs qui se sont cassé la figure au dernier moment, après avoir été à deux doigts de se faire. Pour conjurer cette frustration, je me suis mis à tourner frénétiquement, car ce que j’aime, c’est faire des films. Pas forcément les écrire, mais en tout cas les faire. Cependant, Les Garçons sauvages m’a permis de lâcher la nouvelle et l’essai, pour pouvoir enfin déployer un récit romanesque. L’idée de départ était un télescopage entre des lectures d’enfance un peu imposées – des romans de Jules Verne comme Deux ans de vacances, et bien sûr Stevenson avec L’Île au trésor, mais aussi Jekyll & Hyde pour l’idée de la métamorphose – et des lectures d’adolescence que l’on découvre par soi-même et qui nous ouvrent tout à coup l’esprit, ce qui est le cas des romans de Burroughs. Après coup, j’ai aussi repensé à Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, une relecture de Robinson Crusoé. Il y a une scène qui m’avait vachement marqué quand j’étais adolescent, où Robinson fait littéralement l’amour avec l’île. »



SA MAJESTÉ DES MOUCHES/ESTHÉTIQUE DE STUDIO
« Dans Sa majesté des mouches, ce sont des garçons de bonne famille extrêmement raisonnables, sages, qui vont s’avérer sauvages. Chez moi, les garçons de bonne famille sont déjà sauvages, et ils vont se révéler différemment avec la modification de leur sexualité, ou plutôt de leur sexe. C’était un premier contrepied, et j’en ai pris un autre par rapport au long-métrage de Peter Brook. Car je l’ai vu en premier, et pour moi, Sa majesté des mouches est donc un film avant d’être un livre. Brook reste assez réaliste sur l’île, alors que j’ai eu au contraire envie de renouer avec le studio. J’adore les insertions de studio dans le réel, comme ce moment de La Prisonnière du désert de John Ford où John Wayne et son compagnon sont à cheval dans un paysage enneigé, très studio. Je trouve cette scène absolument magique. Quand je travaille le réel, j’essaie donc de faire en sorte que cela ressemble un peu à du studio, en intervenant sur la nature avec les éclairages et d’autres artifices. À l’inverse, quand je suis en studio, j’essaie de faire en sorte qu’on y croie. »

COULEUR/COLLAGE
« Il a toujours été évident pour moi que le film devait être en noir & blanc, car cela m’aidait à faire cohabiter mes scènes de studio et mes scènes en décor naturel en me concentrant sur la lumière, les contrastes, etc. C’était une approche graphique de la jungle, car je trouve que cette dernière peut être assez polluante visuellement. Cependant, j’avais aussi besoin de ces arrivées de la couleur que le spectateur ne pourrait pas anticiper, et qui sont comme des montées de sève. Ces séquences ont été fixées dès l’écriture, et nous les avons donc travaillées en conséquence. Ce sont comme des ponctuations, extrêmement mentales, mais je sentais que c’était à ces moments-là que la couleur devait jaillir. Idem pour les rétroprojections. Au départ, elles sont réalistes, j’allais dire, avec la mer en arrière-plan par exemple. Puis on passe tout à coup à quelque chose de beaucoup plus mental, un visage qui grandit, une tête dans le ciel, etc. Tout cela me permettait de faire de grands collages, car je voulais que l’enchaînement des séquences crée une sorte de voyage organique pour le spectateur. C’est comme s’il était dans une grotte et que, tout à coup, il découvrait une autre salle, puis encore une autre, etc. Et mes outils me permettaient de garder une cohérence dans ces passages d’un monde à l’autre. »



BANDE-SON RÊVÉE/COMPOSITION BIDOUILLÉE
« Pour la musique, je passe par plusieurs étapes. Quand j’écris, je dresse en parallèle une liste de morceaux, qui est comme une bande-son rêvée. Mais je n’en garde pas grand-chose, une fois que je l’ai confrontée au montage image. Contrairement à Cattet et Forzani qui font cela à merveille, j’essaie de mettre le moins possible de morceaux que j’ai déjà entendus dans des films. Car j’ai des plans de ces derniers qui me reviennent, et cela m’empêche presque de voir mes propres images. Sur Les Garçons sauvages, j’ai seulement utilisé le thème de& [...]

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