Rencontre : Benedict Coulter créateur de bandes-annonces

De La Guerre des étoiles à Aquaman en passant par Indiana Jones, Le Seigneur des Anneaux et Avatar, Benedict Coulter a monté ou produit quelques-unes des bandes-annonces les plus célèbres de l’Histoire du cinéma. Rencontre avec un artisan de l’image dont l’incroyable destin hollywoodien a commencé dans le 6e arrondissement, à Paris…
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Vous avez commencé en tant que musicien à Paris, avec Renaud…

Oui, je lui ai d’ailleurs parlé il y a quelques heures. Renaud et moi étions ensemble au lycée Montaigne. Je me rappelle qu’il écrivait beaucoup, et on passait beaucoup de temps ensemble. Je lui ai montré quelques notes à la guitare, et on a bien accroché. La première année après la fin du lycée, on a commencé à faire les terrasses de café et les sorties de cinéma. On avait un troisième musicien avec nous : le fils du patron du café où on allait au lycée, qui était un Auvergnat et qui jouait de l’accordéon. On se faisait un peu d’argent. Coluche passait au Théâtre de la Ville, près de Châtelet, et on a décidé de jouer pour les gens qui faisaient la queue avant le spectacle. Renaud était en train de chanter, et un mec du nom de Lederman est venu nous voir. Il nous a dit : « Les garçons, j’aime bien ce que vous faites, venez me voir lundi prochain à mon bureau. ». On y est allés et il nous a lancé : « Écoutez, je suis le manager de Coluche. On commence un spectacle aux Champs-Élysées et j’aimerais que vous soyez en première partie. ». À l’époque on s’appelait les « P’tits loulous ». On chantait quelques chansons écrites par Renaud, et quelques chansons classiques. Cet été-là, j’ai rencontré quelqu’un qui travaillait dans un groupe de rock à Los Angeles et il m’a conseillé de m’installer en Californie. Il m’a dit que je devais venir jouer avec lui. Depuis mes onze ans, je rêvais d’aller habiter aux États-Unis. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais c’était une envie dévorante.


C’était la culture américaine qui vous intéressait ?

Oui, mais pas seulement. J’avais des bottes de cowboy, des chemises de cowboy… Quand on m’a fait cette proposition, j’ai dit à mon patron : « Je m’en vais en Californie jouer du rock’n’roll. ». Je me rappellerai toujours de sa réaction : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes fou ! Vous allez briser votre vie et votre avenir ! ». Mais je suis parti. Ma petite amie m’a accompagné là-bas. À mon arrivée, j’ai loué une Ford Mustang. Ils en louaient des vieilles pour presque rien. J’ai aussi loué un appartement et j’ai commencé à jouer avec ce groupe à Los Angeles. Le problème, c’est que je ne sais ni lire ni écrire la musique. Comme 99 % des groupes, celui-ci s’est séparé. Les musiciens sont partis jouer chacun de leur côté, mais eux étaient capables de travailler en studio. Ils pouvaient lire des partitions, pas moi. J’avais décidé de ne pas rentrer en France ; je ne voulais pas avoir le goût de la défaite. Quelque temps plus tôt, juste après le lycée, je m’étais déjà cassé au Brésil avec une nana et j’avais dit à mes parents d’aller se faire foutre. Mais ça s’était mal passé, et j’étais rentré la queue entre les jambes. Plus jamais ça ! J’avais trouvé un boulot dans un liquor store sur Sunset Boulevard. Je faisais des livraisons, et je ne gagnais presque rien. Ma soeur m’a dit un jour : « Tiens, j’ai un copain qui travaille dans une boîte de bandes-annonces de films. ». Je dois dire que je ne savais pas ce qu’était une bande-annonce. Je n’étais pas vraiment cinéphile, j’allais très rarement au cinéma. Mais le boulot avait l’air intéressant. Elle m’a donné le numéro, j’ai appelé le mec et il m’a invité à venir les voir. Je suis donc allé passer un entretien de coursier pour cette société, qui s’appelait Kaleidoscope Films. Il y avait un long couloir, et le bureau du mec que je devais voir était au bout de ce couloir. En le traversant, les portes de chaque côté étaient ouvertes, et j’entendais les sons si particuliers des salles de montage, avec tous les rembobinages et les avances rapides. C’était comme une expérience spirituelle. Je me suis dit : « C’est ça que je vais faire. ». J’ai donc été engagé comme coursier tout début 1977. La première fois qu’ils m’ont envoyé faire une livraison, c’était pour le backlot d’Universal. J’ai pu voir des équipes tourner, c’était dingue. Mais je me suis tout de suite pris de passion pour le montage des bandes-annonces. Je ne rentrais pas chez moi à 19h, mais à 2h du matin. J’étudiais ce que faisaient les monteurs. L’un d’entre eux, un vieux de la vieille qui faisait partie du syndicat, un type très old school, a vu que j’étais vraiment intéressé et il a commencé à me montrer ce qu’il faisait. Il m’a dit comment découper, où changer la musique, etc. Je suis rapidement devenu projectionniste au sein de la boîte, puis je suis passé apprenti monteur. J’étais en gros l’assistant de l’assistant. À l’époque, on travaillait exclusivement sur film, donc il y avait deux ou trois mecs dans chaque chambre de montage : le monteur, son assistant et de temps en temps un apprenti que se partageaient plusieurs équipes. Le monteur travaillait sur sa machine et l’assistant lui donnait ce dont il avait besoin, qu’il s’agisse d’une prise ou d’une musique. J’ai commencé à monter, notamment sur le trailer de La Guerre des étoiles, dont personne ne voulait s’occuper. Ensuite on devait tout envoyer sur film au studio. Les producteurs louaient une salle de projection, ils regardaient et deux jours après ils te rappelaient. C’était beaucoup plus lent. Mais comme on travaillait en équipe, un apprenti pouvait apprendre très rapidement. J’ai dit à tous les monteurs que j’étais disponible en toute circonstance, pour n’importe quel projet. Les monteurs avaient compris que j’étais là quand ils avaient besoin de moi. Pendant cette période, j’ai beaucoup analysé le choix des musiques, le choix des plans, le rythme du montage. Et finalement, j’ai été promu assistant. C’était une sorte d’école. Sur une campagne promo, il y a bien sûr la bande-annonce, mais il y a aussi en général une dizaine de spots TV de 30 secondes. Le monteur avec qui je travaillais m’a dit un jour : « Viens après le boulot ce soir et monte un spot toi-même. ». Le matin suivant je lui ai montré, il a fait des petits changements, mais il s’est montré très généreux. C’est arrivé plusieurs fois par la suite. Et au-delà de ses suggestions, il a pris l’habitude de mélanger mes spots aux siens quand il les montrait au grand patron. S’il avait montré mes spots en disant que c’étaient les miens, le big boss aurait dit : « Ils ne sont pas terribles. ». Mais vu qu’ils étaient au milieu, le patron lançait : « Ah, il est bien ce spot », et le monteur disait : « Oui, c’est celui de Benedict. ». Je me suis amélioré, et j’ai fini par être engagé comme monteur à part entière. On m’a donné une salle de montage en me disant : « Voici ton aile, tu vas commencer à bosser. ». Je me souviens qu’ils me payaient encore le salaire d’apprenti, qui était de 350 dollars par semaine. Un peu plus tard j’ai obtenu le salaire d’assistant, qui était de 550 dollars par semaine.


Ce n’était pas mal pour l’époque, non ?

En 1977 oui, mais les monteurs se faisaient en général 1500 dollars par semaine.



Pouvez-vous me parler de la bande-annonce de La Guerre des étoiles ?

Fox avait engagé Kaleidoscope pour s’en occuper. Ils nous avaient envoyé une version noir et blanc du film, ce qui se faisait à l’époque. Et la version qu’on avait ne comportait aucun effet visuel ou sonore. Ce n’était pas très impressionnant… C’était même un peu gênant par moment. On nous avait envoyé des images de quelques maquettes, et quelques dessins. Le studio était un peu inquiet quant au succès de ce film. C’est pour ça que lorsque Lucas a demandé les droits de tout le marketing et des jouets, ils ont [...]

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