Rencontre Alejandro Jodorowsky

Après la review des FILS D’EL TOPO dans le précédent numéro, entretien cinémato-bédéistique avec Alejandro Jodorowsky, inlassable créateur d’univers dont les 87 ans n’ont pas entamé la verve malicieuse.

Vous avez essayé de monter au cinéma la suite d’El Topo depuis les années 90. Mais vous avez rencontré toutes sortes d’obstacles. Pouvez-vous nous en parler ?

Il y a eu beaucoup d’obstacles en effet ! Qui allait bien pouvoir le produire ? D’abord, il y a eu des producteurs russes. C’était très bizarre : ils voulaient obtenir 21 millions de dollars pour lancer le projet. En un coup, comme ça ! À l’époque, j’avais Johnny Depp pour le film. Johnny avait déclaré qu’il y avait trois réalisateurs en France avec lesquels il voulait travailler, et j’étais le troisième. Alors les Russes ont écrit une lettre à Johnny, dans laquelle ils lui proposaient un million de dollars pour jouer dans le film. Il a répondu : « Je gagne 50 millions de dollars par an ! ». Il a rigolé, tu vois. Ces Russes étaient fous. Ensuite, il y a eu des producteurs américains, puis mexicains. Pour un producteur mexicain, j’ai écrit le scénario, mais au même moment, il a divorcé, est tombé en dépression et a quitté le monde du cinéma ! Bon, c’est comme ça, ça arrive… (rires) Alors certes, Les Fils d’El Topo est un film d’action, mais un film d’action différent, comme pouvait déjà l’être El Topo. Mais l’industrie est lâche. Les producteurs sont lâches, les distributeurs sont lâches. Ils veulent des choses connues, identifiables. Et ils sont malhonnêtes. Par exemple, La Danse de la réalité a coûté 4 millions de dollars. Pour le cinéma, ce n’est rien. Et on a eu une offre d’un distributeur allemand : 20 000 dollars. Ils veulent le film pour dix ans. Et à part l’avance, on ne verra plus un sou. Mais comment on peut faire des films si on ne récupère pas d’argent ? Pour le film que je viens de faire, Poésie sans fin, j’ai eu une offre de la Chine : 15 000 dollars. Imagine-toi ! On m’a dit : « C’est risqué, c’est un film différent, ça dure deux heures et nous on veut des films d’une heure et demie… ». C’est malhonnête et c’est lâche. Et c’est colonisé par les États-Unis, qui possèdent tout. Les grandes salles, la publicité, la distribution. C’est une horreur. Les vrais films d’horreur ne sont pas ceux qu’on peut voir dans les salles, c’est le monde de la production et de la distribution !

Revenons un instant à Johnny Depp : avez-vous vu certains des films qu’il a faits avec le réalisateur Gore Verbinsky ? Dans certains passages des Pirates des Caraïbes ou encore de Lone Ranger, naissance d’un héros, on peut déceler des références à votre cinéma.

J’ai des admirateurs partout ! Comme Dennis Hopper, par exemple. J’étais son idole, tu vois ! Et quand j’ai fait Santa Sangre, je voulais lui donner le rôle du père. Mais on n’avait que 300 000 dollars à lui donner. C’était énorme : un acteur mexicain ne me coûtait que 25 000. Il n’a pas voulu ; il avait beaucoup d’admiration pour moi, mais il voulait beaucoup d’argent. Pour moi, le star-system est une maladie créée par Hollywood dans les années 30. 

Finalement, cette bande dessinée est-elle le résultat d’une frustration, ou représente-t-elle au contraire une libération, celle de présenter enfin cette histoire telle que vous l’avez imaginée ?

Je ne crois pas à l’échec, je pense que l’échec n’est qu’un changement de chemin. Par exemple, quand je n’ai pas pu faire Dune, j’ai fait L’Incal, La Caste des Méta-barons, Megalex, Les Technopères… J’ai réalisé le film à travers la bande dessinée. Car pour moi, la bande dessinée est un art tout aussi valable que le cinéma. Avec moins de public peut-être, mais aussi avec plus de liberté. Économiquement, nous ne sommes que deux, le dessinateur et moi, parfois trois avec le coloriste. Comme maintenant, je m’approche de la mort, soyons honnêtes, il me reste peu de temps. Et je ne voulais pas quitter ce monde sans avoir fait Les Fils d’El Topo. Alors je me suis dit que j’allais créer quelque chose que j’ai appelé un « graphic movie ». J’ai donc appelé José Ladrönn (dessinateur mexicain avec lequel Jodoroswky a déjà collaboré à plusieurs reprises – NDR), qui selon moi possède une certaine forme de génie. Je pense même qu’il est meilleur que Moebius ! C’est vraiment un grand. Et tellement honnête, travailleur, compréhensif… Bref, je lui ai donc proposé de faire une bande dessinée donc chaque page serait composée de trois cases, pour que le spectateur puisse la suivre comme un film. Et je voulais beaucoup d’émotion dans le dessin, comme si on voyait des acteurs. Finalement, je fais un film ! J’écris le script, puis je discute avec lui, et il se met au travail. Il est mon caméraman, mon décorateur… 

Comment avez-vous rencontré José Ladrönn ? Il a longtemps travaillé dans l’industrie du comic-book américain et a trouvé l’expérience proprement abrutissante en termes de volume et de rythme de travail. Il voulait s’orienter vers autre chose, et s’est déclaré fan de votre oeuvre depuis sa jeunesse…

C’est grâce à Fabrice Giger des Humanoïdes associés. Il m’a emmené à Los Angeles parce qu’il voulait que j’écrive un script pour le cinéma adaptant La Ca [...]

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