Rencontre Alejandro Amenábar

Il est rare d’avoir l’occasion de s’entretenir avec le prodige responsable d’OUVRE LES YEUX et LES AUTRES. Nous avons donc profité de la sortie du sixième long-métrage d’Alejandro Amenábar pour revenir avec lui sur une étonnante carrière placée sous le signe de l’exigence.

Êtes-vous d’accord si je décris Régression comme un remake d’Agora déguisé en thriller satanique ?

Eh bien, les deux longs-métrages parlent de choses similaires. Vous savez, je n’avais jamais imaginé que je finirais par faire des films politiques. Et pourtant, je pense qu’Agora et Régression sont deux films très politiques. Ce qui les différencie, à part le genre, est que dans Agora, la religion et la raison sont opposées. Dans Régression, ce que j’ai aimé, c’est que ces deux forces tentent de travailler de concert pour résoudre la même énigme. 

Entre l’aveuglement religieux au IVe siècle dans Agora et l’hystérie religieuse au XXe siècle dans Régression, rien n’a vraiment changé, non ?

Ce qui ne cesse de me fasciner, c’est non seulement cette capacité que nous avons de nous aveugler, mais aussi la crédulité dont nous faisons preuve. Ça, ça ne change pas. Certaines des choses qui sont expliquées dans Agora sont des sujets auxquels Freud s’est frotté. D’ailleurs, avant de faire Régression, j’ai vu un film très intéressant sur ce sujet, Freud (Freud, passions secrètes en VF – NDR), de John Huston. D’une certaine façon, cela parle des mêmes sujets que Régression.

Justement, l’élément nouveau dans Régression par rapport à Agora est la présence de la psychologie, qui est supposée être l’opposé de la religion mais qui, en fait, se révèle tout aussi incapable d’expliquer les mystères de l’esprit humain… 

En fait, tout le concept de la théorie de la régression m’a beaucoup rappelé celui d’un exorcisme. Au lieu d’avoir un prêtre qui extrait le démon d’une personne, vous avez un spécialiste qui extrait le Mal d’une personne. Je voulais montrer qu’il y a des mystiques partout. Ce que j’aime dans la science, et ce qui fait que je me considère comme un rationaliste, c’est qu’on apprend de ses erreurs. Là où les problèmes surviennent, c’est quand on considère que quelqu’un détient le savoir absolu et qu’on lui fait aveuglément confiance, sans jamais remettre ses propos en question. 

Dans Régression, vous mentionnez dès le début qu’il sera question d’hystérie. Vous éliminez d’emblée la notion de mystère et donc la possibilité de jouer sur la réalité des événements. Pourquoi ?

Cela dépend de la façon dont vous percevez l’histoire. J’ai voulu jouer sur les attentes du public. Quand vous allez voir un film et que vous savez que ça parle de culte satanique, vous avez déjà une idée de ce qui vous attend. Il était intéressant d’adopter une autre approche et de voir ce que les spectateurs allaient en retirer. C’est pour cela que j’ai décidé dès le début de donner beaucoup de clés au public, pour voir ce qu’il allait en faire. En revoyant le film, vous verrez que tout est expliqué dès le début. Mais à cause de leurs attentes, certains choisissent de croire en une autre lecture.

La complexité de l’esprit humain semble être au coeur de tous vos films. Vos personnages sont toujours trompés par leur corps, leurs émotions, leurs sens ou leurs croyances. Ça me paraît être précisément le sujet de Régression

C’est vrai. L’un des personnages dit que « l’esprit humain est un univers ». J’ai tendance à essayer de ramener tous mes sujets à l’échelle humaine. Guillermo del Toro m’a récemment dit une chose très intéressante : « Quand on parle de films sur le Diable, il y a deux genres de films : les films de droite, où le Diable vient de l’extérieur, et les films de gauche, où le Diable vient de l’intérieur. ». Du coup, j’imagine que je suis de gauche ! (rires)

Votre famille a quitté le Chili pour venir en Espagne afin de fuir le coup d’État de Pinochet. Votre maman, qui est espagnole, était-elle venue au Chili pour fuir la dictature de Franco ?

Mes parents ont fui le Chili 15 jours avant le coup d’État. Et finalement, je n’ai jamais discuté avec ma mère des raisons qui l’ont poussée à venir au Chili. Étonnamment, ça n’avait jamais éveillé ma curiosité. Il y a quelques années, j’ai compris en rencontrant pour la première fois l’un de mes cousins que ma mère était venue au Chili pour fuir la Guerre civile espagnole. Donc, d’une certaine façon, ma vie a débuté au Chili à cause de la guerre civile espagnole, et a continué en Espagne à cause de Pinochet. Ma mère avait peur que le Chili soit également ravagé par une guerre civile. 

Vous êtes donc le produit de deux dictatures qui ont pris place sur deux continents différents…

Comme je vous l’ai dit, je ne pensais pas que je finirais par faire des oeuvres politiques, mais on trouve toujours dans mes films des observations sur la croyance. Je pense que ça vient de mes parents. Quand nous sommes arrivés en Espagne, ils m’ont envoyé dans un pensionnat catholique, où je suis resté pendant 10 ans. Du coup, j’ai vécu un voyage intérieur. J’ai commencé en tant que croyant – mes parents n’étaient pas bigots, mais ils croyaient en Dieu –, puis après avoir étudié les écritures, j’ai contesté ce que je lisais. Je suis devenu agnostique, puis athée. On le voit dans mes films, qui sont le refle [...]

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