QUELQUES MINUTES APRÈS MINUIT de Juan Antonio Bayona
Quelques minutes après minuit
Bien sûr, on pourra rétorquer que J.A. Bayona vient d’accepter un chèque conséquent pour diriger un cinquième Jurassic Park, dont la lourde tâche sera de rapporter autant que le Jurassic World de Colin Trevorrow (1,67 milliard de dollars à travers le monde !). Intégré au système, Bayona ? Il s’en défend dans l’interview qui suit, répondant seulement qu’il ne pouvait pas dire « non » à son héros d’enfance Steven Spielberg. Ce soi-disant revirement de carrière apparaît à vrai dire comme une progression logique, si l’on considère le puissant héritage spielbergien de Quelques minutes après minuit. Adapté d’un livre pour enfant de Patrick Ness par le romancier lui-même, le long-métrage renvoie aux heures bénies de E.T., l’extra-terrestre, mais aussi à Rencontres du troisième type, Poltergeist ou Empire du soleil dans son obstination à respecter le point de vue de l’enfance, et à cristalliser sa capacité de survie et d’émerveillement. L’honnêteté qui se dégage du portrait de Connor, garçon quotidiennement harcelé au collège et tourmenté par le cancer de sa mère (Felicity Jones, héroïne de Rogue One), est saisissante dans le contexte cinématographique actuel. À l’heure où les agents hollywoodiens forment des machines de guerre plutôt que des enfants acteurs (principal sujet de l’acide Maps to the Stars de David Cronenberg), Bayona choisit de donner sa chance à un novice pas encore formaté par les us et coutumes du métier.
Sensationnel et parfaitement dirigé, le jeune Lewis MacDougall apporte une humanité et une véracité rares au film, et Bayona n’hésite pas à malmener son jeune protagoniste dès que l’occasion se présente. Si Shane Black se dressait déjà contre cette manie de protéger anormalement les teens dans son hilarant The Nice Guys, où une fillette se retrouvait directement confrontée à des affaires de moeurs et de meurtres pour le moins sordides, Bayona va toutefois plus loin dans sa démarche. Le cinéaste entreprend en effet de sonder au plus près la psyché de son jeune héros et de percevoir tous les événements à travers son fragile regard. Dans ce contexte, chaque écart de conduite prend des proportions apocalyptiques, notamment lors d’une scène déchirante où Connor met à sac le salon de son antipathique grand-mère (Sigourney Weaver), éveillant chez elle un désarroi qu’il n’avait jamais perçu auparavant. Traduit en termes adultes, la séquence aurait été anecdotique ; en l’état, elle convoque une émotion fondamentale et primitive de l’enfance.
CHORÉGRAPHIE DU RÊVE
Du Spielberg, il y en a également dans la manière dont Bayona manipule son élément fantastique, et l’intègre à son environnement réel. Tout en contrastes, Quelques minutes après minuit ne cesse d’opposer les styles narratifs, comme pouvaient le faire en leur temps Rencontres du troisième type et E.T., pour encore les citer. Optant pour une épure inconfortable lors des séquences du quotidien, effet souligné par une musique mise en sourdine et des cadrages à l’épaule parfois déséquilibrés, Bayona change du tout au tout pour ses morceaux de bravoure oniriques, lorsqu’un arbre perché devant la fenêtre de Connor se métamorphose en géant colérique (Liam Neeson, version performance capture). Portée par un sens de la mise en place et de la chorégraphie assez foudroyant, que le cinéaste renforce encore grâce à des jeux de regards renvoyant au spectateur son propre reflet, la première apparition du monstre s’impose comme une envolée lyrique proprement phénoménale. Chacune des suivantes inspire à Bayona des tableaux d’une poésie dévastatrice, notamment lorsque Connor décide d’affronter son bourreau dans la cantine du collège, suivi comme son ombre par l’implacable monstre. Il fallait bien ce déchaînement créatif pour contourner un piège que le récit s’était lui-même posé : de fait, Ness et Bayona ne se sont pas facilités la tâche en annonçant dès le départ un cadre narratif immuable, propice à une expérience fastidieuse et répétitive (« Je viendrai te raconter trois histoires, puis ce sera à ton tour de m’en raconter une » prévient le géant dès le premier acte).
Bien conscient de naviguer à vue, sans intrigue véritable, le réalisateur conjure le sort en proposant à son public une oeuvre protéiforme (voir ces longues et splendides séquences animées et/ou hybrides) mais totalement cohérente, dont la perspective volontairement faussée n’empêche pas l’épilogue d’imposer une vision d’ensemble satisfaisante. Ce va-et-vient perpétuel entre le réel et l’onirisme fait donc toute la saveur de Quelques minutes après minuit, et le procédé est intelligemment synthétisé par la brève apparition du père de Connor en milieu de projection. Cet événement central, Bayona choisit de le relater en deux temps : de prime abord à la manière d’une parenthèse fantasmée, enveloppée dans une musique au sentimentalisme assumé de Fernando Velázquez, puis comme un réveil brutal, quasi muet, dans l’habitacle étouffant d’une bagnole usée. Le procédé, subtil, contrebalance l’un des rares vrais défauts du film, à savoir un triple climax émotionnel certes touchant et sincère, mais dont les composantes ont plus tendance à s’annuler qu’à s’additionner.
INTERVIEW
JUAN ANTONIO BAYONA RÉALISATEUR
Après le triomphe critique de L’Orphelinat, Hollywood a [...]
Il vous reste 70 % de l'article à lire
Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.
Découvrir nos offres d'abonnement