PRIS AU PIÈGE d'Álex de la Iglesia

Pris au piège

Pour son treizième long-métrage (hors productions télévisuelles), Álex de la Iglesia semble revoir ses ambitions à la baisse, en comparaison des épiques Balada Triste et Les Sorcières de Zugarramurdi. Mais ce huis clos permet au contraire au cinéaste de dresser un portrait nihiliste de ses affreux contemporains, dont la cohabitation entre les murs d’un bar populaire ne se fait pas sans éclaboussures.

Difficile, par les temps qui courent, de monter un film de genre ambitieux en Europe, y compris en Espagne, pourtant l’une des terres sacrées de la tradition fantastique. « Ça n’a vraiment pas été une mince affaire de monter Pris au piège » confirme Álex de la Iglesia, dont les multiples récompenses aux Goya font aujourd’hui à peine pencher la balance en sa faveur. « Ils me permettent encore de faire des choses, mais avec beaucoup de réticences. J’ai dû me battre énormément en coulisses. J’espère que Netflix et Amazon vont montrer aux studios et aux distributeurs que le public est loin d’être idiot. » Ce n’est pas encore gagné, si l’on en juge par le sort réservé au film chez nous : contrairement aux précédentes oeuvres du réalisateur, Pris au piège doit en effet se contenter d’une sortie VOD à la fin de l’été, puis vidéo à la rentrée. Raison de plus pour le soutenir.
L’argument central très bis de Pris au piège aura peut-être contribué à lui interdire l’accès aux salles, suite aux recettes décevantes des dernières suites de [Rec]. S’inscrivant dans une nouvelle vague du film de contamination (un homme infecté par un virus entre dans un bar, et condamne aussitôt tous les occupants à devenir les cibles de l’armée), Álex de la Iglesia n’en tire toutefois qu’un prétexte scénaristique assez sommaire ; un postulat apte à libérer les instincts souvent égoïstes de ses différents protagonistes. « Je n’ai absolument pas voulu jouer avec les codes du genre » se défend le réalisateur. « Ce que j’aimais là-dedans, c’est qu’il n’y avait pas d’assassin en particulier. Je voulais faire une sorte d’histoire à la Agatha Christie, où l’assassin serait la peste. Finalement, c’est plus proche de The Thing de John Carpenter. » Si la paranoïa est effectivement le principal moteur de l’intrigue, elle alimente surtout une satire politique grinçante. Introduits au gré d’un long plan-séquence, les caractères synthétisent les différentes classes de la société espagnole, de l’entrepreneuse pingre à la femme au foyer bourgeoise, en passant par le publicitaire hipster, l’employé corvéable, le flic avide de pouvoir, le commercial itinérant, la jeune cadre dynamique et le clochard bigot. Tous à la fois vivants et morts à l’intérieur de cet étroit bistrot, tel le fameux chat de Schrödinger, les protagonistes se regroupent rapidement pour optimiser leurs chances de survie, et reproduisent mécaniquement une répartition sociale héritée du monde extérieur. La caméra se plaît à voguer d’un clan à l’autre, et les déplacements de chacun à travers le bar révèlent progressivement la hiérarchie qui s’installe au sein de cette micro-communauté. Redoublant constamment d’inventivité, Álex de la Iglesia exploite absolument tous les axes que lui fournit son humble décor, en multipliant des jeux de lignes droites, de courbes et de diagonales, symbolisant en elles-mêmes le rapport de force entre les différents personnages. Pensé comme un jeu de construction géométrique, Pris au piège explore à ce point ses espaces qu’il aurait gagné à être filmé ou converti en 3D stéréoscopique ; une option que le budget modeste du film n’aurait malheureusement jamais permise.



EXPLOITATION DES CORPS
Outre une mise en scène qui parvient à raréfier les répétitions de plans, Pris au piège brille également par la limpidité de sa structure. Le film est découpé en trois actes précis, et chacun occasionne un déplacement souterrain de l’intrigue, jusqu’à jeter les survivants quasi nus dans un immonde conduit d’égout. Assez peu porté sur le gore, à l’exception de quelques coups de feu bien placés et d’une paire d’yeux exorbités, Pris au piège préfère cultiver le malaise et questionner l’humanité, la loyauté et le sens de la justice de ses antihéros. Énième allégorie christique dans l’oeuvre du réalisateur, le clochard se présente à ce titre comme la clé de voûte du film : s’il apparaît comme l’antagoniste idéal, ses motivations n’en découlent pas moins d’une exploitation quotidienne et honteuse par [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte