Preview Mars Express de Jérémie Périn

Après avoir donné un high-kick dans la fourmilière de l’animation française avec la série Lastman, Jérémie Périn passe à la vitesse supérieure avec Mars Express, long-métrage de science-fiction destiné aux salles produit par Everybody on Deck. Un projet ambitieux dont nous avons décidé de suivre la fabrication pas-à-pas tout au long de cette année 2021 à travers un journal de production divisé en cinq chapitres, que nous consacrerons à divers aspects du processus de création. Avec, pour démarrer les hostilités, une présentation de la bête suivie d’un entretien avec Jérémie et son compère/coscénariste Laurent Sarfati. Mars, nous voilà !

La production puis la diffusion initiale de la série Lastman sur France 4 ont constitué un singulier parcours du combattant pour Jérémie Périn, le directeur d’écriture Laurent Sarfati, la boîte de prod’ Everybody on Deck et le studio d’animation Je Suis Bien Content. Financement menacé en cours de fabrication imposant le lancement d’une campagne de crowdfunding, programmation rushée (l’intégralité de la série a été diffusée en quatre soirées) pour cause de changement d’orientation éditoriale de la chaîne, interdiction aux moins de 16 ans compliquant la mise en ligne des replays… Un nouveau et fatigant signe que le PAF français n’est guère à l’aise avec les oeuvres de genre de caractère et n’a aucune idée de comment les accompagner auprès du public. Ce qui n’empêche pas Lastman de rencontrer un succès très correct (entre 200 et 250.000 téléspectateurs par soir de diffusion) qui suffit à établir la réputation de ce serial pulp ultra punchy bardé d’influences diverses allant de John Carpenter à Dario Argento, préquelle de l’excellente BD de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville. La nature geek ayant horreur du vide, le show aura finalement une seconde (une belle sortie vidéo chez l’éditeur Wild Side) puis une troisième vie (Lastman est disponible sur Netflix), témoignages de l’empreinte qu’il a laissée dans le paysage encore désolé de l’animation française de genre pour adultes.



EXPLORER LE FUTUR
Mais alors que la production de la saison 2 de Lastman bat son plein (sous-titrée Heroes et destinée à la chaîne numérique Slash, elle sera composée de 6 épisodes de 45 minutes, dont l’écriture est à nouveau supervisée par Laurent Sarfati), Jérémie Périn a préféré passer le relai à Jérémie Hoarau (son premier assistant sur la saison 1, et coréalisateur avec Baptiste Gaubert de l’hallucinante mini-série Crisis Jung) afin de se concentrer sur un autre projet, toujours sous la houlette d’Everybody on Deck et Je Suis Bien Content, et à nouveau coécrit avec son complice Laurent Sarfati. Adieu la télé et l’action pulp, bonjour le cinéma et la science-fiction. Comme l’explique le réalisateur dans les pages qui suivent, le but est à nouveau de créer un précédent afin de montrer que l’animation française peut accoucher de films à la fois adultes et populaires. Mais au-delà de ces considérations stratégiques, Mars Express est surtout l’expression d’une envie d’explorer un genre, la science-fiction, que la production audiovisuelle française moderne ne sait trop par quel bout prendre, paralysée par l’hégémonie anglo-saxonne en la matière (qui a troqué les odyssées à la Arthur C. Clarke contre des super-héros combattant des aliens dans l’espace), les moyens financiers exigés, et un héritage pas forcément glorieux. Parlez de SF locale à un citoyen hexagonal lambda, et il y a tout de même plus de chances qu’il évoque La Soupe aux choux et Le Gendarme et les extra-terrestres (au mieux Fahrenheit 451 ou Alphaville s’il lit Les Cahiers…) que La Planète sauvage et Les Maîtres du temps. Un constat d’autant plus rageant que le genre s’épanouit dans nos contrées à travers la littérature et la bande dessinée, preuve que l’imaginaire n’est pas en défaut… Le défi est donc de taille, surtout qu’il existe mille possibilités pour aborder la SF, de la fantasy spatiale à l’intimisme psychédélique en passant par l’anticipation et l’horreur. Périn et Sarfati, eux, optent pour le film noir. Mars Express raconte l’enquête menée par Aline Ruby et son partenaire androïde Carlos Rivera, détectives privés vivant à Noctis, capitale de la Colonie Indépendante de Mars. Le duo est chargé de retrouver Jun Chow, une étudiante en cybernétique ayant disparu après avoir hacké un robot. Une affaire de routine, qui va pourtant révéler un complot d’envergure interplanétaire… 



TECHNODÉPENDANCE
Film noir et science-fiction : un mix qui évoque immédiatement toute une tradition cyberpunk (cf. dossier de notre précédent numéro) avec, en figure de proue, le monument Blade Runner. Analogie renforcée par le fait que Mars Express traite largement de problématiques liées à l’intelligence artificielle. Le projet n’a pourtant rien d’un clone servile ou d’un fanfilm enamouré, grâce à la personnalité et la créativité de ses géniteurs. L’approche visuelle prend à contrepied les clichés habituels (du genre ruelles enfumées mouillées par la pluie et illuminées par la lumière froide des néons) en extrapolant une vision de société née de considérations techniques et idéologiques très actuelles : fondée par des corporations, la colonie martienne du film est une extension de l’idéologie à la fois politiquement correcte et férocement capitaliste de nos actuels GAFAM, où des architectures épurées baignées de soleil, plus proches de la Californie du Chinatown de Polanski que de la Los Angeles du chef-d’oeuvre de Ridley Scott, abritent une Humanité subtilement transformée par son rapport à la technologie : les chats artificiels sont plus répandus que leurs modèles organiques, avoir une petite amie robotique est l’assurance de voir tous ses fantasmes exaucés sans s’embarrasser des complications d’une vie de couple, et une simple discussion entre plusieurs personnes physiquement présentes au même endroit se fait dans un silence total, les paroles étant échangées sur des chatrooms en ligne. Le personnage de Carlos Rivera, partenaire d’Aline Ruby, incarne à lui seul tout un pan des préoccupations philosophiques de Mars Express : suite à sa mort cinq ans plus tôt, une sauvegarde de sa conscience a été transférée dans un corps artificiel. Pas vraiment vivant mais pas tout à faire mort, Carlos est une entité située entre deux mondes, un état allégorisé par une géniale idée de design que nous ne pouvons révéler pour le moment… 



FEU VERT POUR PLANÈTE ROUGE 
Malgré un financement quasiment bouclé et une préproduction déjà bien lancée (Jérémie Périn est sur le point de terminer le story-board, de multiples concepts et designs ont déjà été exécutés sous la direction de Mikael Robert, déjà au même poste sur Lastman, et l’on retrouve à la musique le duo Fred Avril & Philippe Monthaye, responsables de l’excellent B.O. de la série), Mars Express n’a dévoilé que peu de ses atours. Seul un court extrait, révélé lors du Forum Cartoon Movie de Bordeaux début 2019 puis diffusé sur la Toile, est visible à ce jour, et donne un bel aperçu de l’approche racée de Jérémie Périn et son équipe. Ironiquement, il se situe sur Terre, lors du prologue, et baigne dans une ambiance subtilement « bladerunnerienne »… avant que l’action ne se déplace sur la Planète rouge afin de révéler toutes les subtilités conceptuelles de Mars Express. Un voyage qu’il nous tarde d’entreprendre, et dont vous pourrez donc découvrir les différentes étapes dans ces pages tout au long de l’année 2021. 





I N T E R V I E W 
JÉRÉMIE PÉRIN RÉALISATEUR & COSÉNARISTE 
LAURENT SARFATI COSCÉNARISTE 

Partenaires de crime depuis une bonne douzaine d’années, Jérémie Périn et Laurent Sarfati ont notamment collaboré sur deux clips mémorables (Truckers Delight de Flairs et Fantasy de DyE) [...]

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