PREVIEW : JUMBO de Zoé Wittock

Jumbo

Que se passe-t-il lorsqu’une jeune femme tombe amoureuse d’un manège… et vice-versa ? Il se passe Jumbo, premier long-métrage d’une cinéaste belge qui explore un authentique phénomène psychologique en s’insinuant dans les failles du quotidien pour dénicher le fantastique dans l’intime. Autant dire qu’au sein d’une industrie qui préfère produire du Neuilly sa mère, sa mère à tour de bras, Jumbo n’est pas né sans complications…
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Dans quel sens prendre le cinéma de genre français ? Ces dernières années, les hérauts du genre hexagonal ont tenté maintes approches : zombies (La Nuit a dévoré le monde), shocker méta (Ghostland), rape and revenge pop (Revenge), blockbuster (La Belle et la Bête version Gans), polar psychédélique (Laissez bronzer les cadavres), émancipation cannibale (Grave)… Si la sauce artistique prend, le public, lui, reste bien calé dans ses habitudes ronronnantes (comédies bien de chez nous et super-héros milliardaires). Ici, on a un peu arrêté d’y croire. Faut-il s’obstiner à voir le cinéma de genre français comme un courant ? Ou simplement prendre les films comme ils viennent en les dégageant de toute « responsabilité » envers une entité que l’on a rêvée globale, mais qui n’a presque jamais su rencontrer son public ? La seconde solution semble plus juste pour les auteurs derrière ces longs-métrages. Ainsi, à la question « Dans quel sens prendre le cinéma de genre français ? », on a bien envie de répondre : « Dans n’importe quel sens, du moment que le film est bon. ». Débarrassé de ce catalogage stérile, on éprouve moins le besoin de faire entrer une oeuvre donnée dans une case. Et ça tombe bien, parce que Jumbo s’en fout, des cases. Le projet s’annonce hybride, un peu fou, poétique, sans port d’attache identifiable et donc libre. Forcément, une jeune femme qui tombe amoureuse d’un manège, ça donne envie d’en savoir plus. Alors un beau matin de juin, on a sauté dans un train, direction le Luxembourg, pour assister à une journée de tournage du film de Zoé Wittock.



OBJECTUM SEXUALITÉ
Zoé qui ? Jeune cinéaste belge, Zoé Wittock aligne un beau CV en matière de formation (diplômée de l’EICAR en France et de l’American Film Institute de Los Angeles, où elle a étudié aux côtés de Ari Hérédité Aster) et se fait remarquer en 2012 avec Ceci n’est pas un parapluie (This Is Not an Umbrella en VO), son court-métrage de thèse qui obtient plusieurs récompenses dans des festivals internationaux. Mais c’est bien en France, en 2013, que ce film dystopique à l’iconographie puissante et surréaliste scelle le destin de ce qui va devenir Jumbo : jurée au festival Court Métrange, la productrice Anaïs Bertrand, fondatrice d’Insolence Productions, tombe littéralement amoureuse de Ceci n’est pas un parapluie. « Je voulais absolument lui donner un prix » s’enthousiasme Anaïs, « mais certaines personnes étaient moins sensibles à l’univers, et il y a eu un gros débat autour du film. Finalement, j’ai pu lui donner une mention. Avec Zoé, nous sommes restées en contact et quelques mois plus tard, elle m’a envoyé le scénario de Jumbo. J’ai tout de suite eu envie de le produire. » Cinq ans plus tard, nous voici donc sur le plateau d’une des dernières journées de tournage du film. Cinq années passées par Zoé et Anaïs à se battre. « Malgré tous nos efforts, aucune télévision n’est venue sur le film » déplore la productrice. « Parce qu’il est auteur, parce qu’il est genre, et parce que malheureusement, il faut entrer dans une case. » Mais l’opiniâtreté aura fini par payer (le film a reçu l’avance sur recettes du CNC et sera finalement une coproduction tripartite entre France, Belgique via Kwassa Films et Luxembourg via Les Films fauves), et Zoé Wittock peut aujourd’hui raconter l’histoire de la jeune Jeanne, jeune femme maladivement timide et gardienne de nuit dans un parc d’attractions, qui vit avec sa mère Margarette, une femme à la fois protectrice et étouffante. Mais la vie de Jeanne change du tout au tout lorsqu’elle rencontre la nouvelle attraction phare du parc : Jumbo, un immense manège par lequel elle se sent immédiatement attirée. Une attirance… mutuelle. Et qui trouve sa source dans un ancrage bien réel : l’objectum sexualité, soit le fait pour un humain de tomber amoureux d’un objet. Le premier cas recensé serait celui d’Eija-Riitta Eklöf-Berliner-Mauer, une Allemande ayant épousé le Mur de Berlin à la fin des années 70. Mais c’est bien l’histoire d’Erika LaBrie, plus connue sous le nom d’Erika Eiffel, qui a fait connaître cet intrigant phénomène : cette championne de tir à l’arc américaine « rencontre » la Tour Eiffel en 2004 et est immédiatement attirée par le monument, au point de se marier avec en 2007. Zoé Wittock nous explique comment l’histoire d’Erika a donné naissance à Jumbo : « Je suis tombée par hasard sur un article de journal qui parlait d’Erika, et ma première réaction à été de sourire. Puis j’ai essayé de comprendre ce qu’il y avait derrière. J’ai fait des recherches et j’ai donc découvert l’objectum sexualité. J’ai ensuite discuté avec Erika, ce qui m’a donné le début de mon intrigue. Elle m’a un peu raconté sa vie, comment elle en était arrivée à tomber amoureuse de la Tour Eiffel, et ça m’a à la fois touchée et intriguée. Mais je n’avais pas forcément envie de faire un documentaire ni de raconter une h [...]

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