ON L’APPELLE JEEG ROBOT de Gabriele Mainetti
On l’appelle Jeeg Robot
Cette odeur de papier bon marché, promesse d’aventures insensées. Ces cases naïves où, en couleurs pétantes, on découvrait comment Matt Murdock était devenu Daredevil, comment Tony Stark avait construit la première armure d’Iron Man. Si On l’appelle Jeeg Robot n’avait qu’un mérite, ce serait celui de retrouver ce frisson fondateur, commun à tous les lecteurs acharnés de comic-books de super-héros. Julien Carbon et Léonard Haddad en brossaient le portrait dans le défunt magazine Le Cinéphage en 1995 : « Déjà au lycée vous connaissiez au moins un ou deux spécimens de cette espèce maudite, des ados qui dévoraient le dernier Strange sous leur livre de maths. Quand ils se retrouvaient, ces fans en culottes courtes échangeaient des sourires entendus en évoquant une planche de Jack « King » Kirby, ou fixaient le bitume de la cour les yeux embués de larmes lorsqu’on prononçait le nom de Gwen Stacy, la blonde fiancée de Spider-Man massacrée par l’infâme Bouffon Vert. (…) Et puis les gamins en question ont grandi. Parfois ils sont même devenus « journalistes de cinéma ». ». Eh bien, ceux-là seront sans doute ravis d’assister, comme au bon vieux temps, aux origines d’un justicier masqué. Qu’importe, dès lors, si le premier long-métrage de Gabriele Mainetti est souvent à deux doigts de tomber dans le cucul la praline. Car qu’est-ce qu’un super-héros sinon un type comme Peter Parker, décidant de redresser anonymement les torts et de s’occuper de son excentrique tante May, après que sa désinvolture l’a conduit à frimer avec ses pouvoirs au lieu d’être là quand l’oncle Ben était assassiné ? C’est peut-être simplet mais c’est amplement suffisant, pas besoin de chercher ailleurs pour nous transformer en serpillères remplies de pleurs.
Et de la même manière, qu’importe si l’histoire s’inspire délibérément d’un certain Incassable. Le chef-d’oeuvre de Shyamalan est de toute façon incontournable quand il s’agit d’utiliser l’omniprésence des zouaves en collants dans la culture contemporaine, non pas pour donner dans l’esprit de sérieux à base de lourde psychologie (bonjour, monsieur Dark Knight) ou dans l’ironie post-moderne, mais pour relancer la croyance directe en des super-héros inscrits dans un contexte relativement réaliste. Ici, c’est carrément un petit malfrat romain qui se découvre invincible, après qu’une course-poursuite avec la police l’a conduit à faire trempette dans un fleuve encombré de barils toxiques. Il sort en effet indemne d’une chute de plusieurs dizaines de mètres, à la suite d’un autre coup foireux où son complice (et voisin du dessous) a perdu la vie. Or, ce dernier était le père d’une femme enfant attardée, qui ne perçoit sa triste existence qu’à travers le prisme d’une vieille série animée japonaise (Jeeg Robot, donc, créée par Gô Nagai) dont elle regarde continuellement les épisodes sur DVD. Elle se met ainsi à confondre son héros dessiné avec le truand taiseux de l’étage du dessus, quand celui-ci se résout à abandonner son indifférence égoïste pour la tirer des griffes de cruels mafieux recherchant un gros paquet de drogue disparu… Car nous n’avons pas encore dit que le film est une production italienne, et qu’il fait bien plus que de se contenter de transposer le modèle américain sans autre forme de procès. Au contraire, il le mêle intimement à une description des quartiers déshérités de Rome et de ses milieux criminels, croqués tantôt avec un humour pittoresque, tantôt avec une violence qui fait très mal. Et surtout, l’enjeu parallèle d’une série d’attentats à la bombe vient rappeler que dans la péninsule, reste toujours vivace la crainte d’un retour de ce qu’on appelait dans les années 70 « la stratégie de la tension » – c’est-à-dire des actions meurtrières d’extrême-gauche ou d’extrême-droite commises pour être imputées au camp adverse (voir la terrible explosion de la gare de Bologne en 1980), via des coups tordus auxquels le crime organisé n’était pas forcément étranger.
LA CAPE ET LA CAPUCHE
Bref, le film voit la fiction contaminer un réel qui est ainsi progressivement ré-enchanté, en empruntant au passage une des plus belles idées visuelles d’Incassable : la simple cape de pluie qui devenait le costume de super-héros de Bruce Willis, ici remplacée par un sweat à capuche noir et un cache-nez de la même couleur. Mais le plus beau là-dedans est que cette signature graphique s’infiltre dans différents registres d’images, des plus modernes (des vidéos YouTube familiarisant le public avec le « super-criminel ») au plus archaïques (des silhouettes peintes au pochoir sur les murs) en passant par la japanimation vintage chère à l’héroïne. Cela s’est même étendu à la vraie vie, quand des fans du film ont commencé à arborer le même look. Car de la même manière, c’est un marketing viral qui a engendré le succès-surprise en Italie d’un long-métrage qui, malgré sa facture de blockbuster, n’a en fait coûté que 1,7 million d’euros. Pour être honnête, il faut y ajouter un autre million dépensé en promotion, mais c’était bien nécessaire pour contrer les manoeuvres des majors transalpines, qui n’ont eu de cesse de faire pression sur les salles pour qu’elles retirent l’intrus de [...]
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