NEON GENESIS EVANGELION de Hideaki Anno

À l’arrivée de Godzilla II roi des monstres de Michael Dougherty sur grand écran, Netflix réplique avec la mise en ligne de la version remasterisée de Neon Genesis Evangelion, la série animée dépressive de Hideaki Anno vers laquelle son auteur n’a de cesse de revenir.

Les fans de Game of Thrones n’ont rien inventé. En mars 1996, la conclusion précipitée d’un jalon crucial de la pop culture déclenche déjà les foudres de son auditoire. Le dernier épisode de la série animée Neon Genesis Evangelion, avec son design épuré, ses plans manifestement finis à la hâte et son propos à la fois évanescent et très littéral, laisse plus d’un spectateur sur le carreau. Les promesses gigantesques de la série semblent s’évacuer dans un déconcertant exercice de catharsis, dans un entre-deux entre le coaching motivationnel et la psychanalyse. Son auteur, Hideaki Anno, reçoit à la suite de la diffusion un nombre invraisemblable d’insultes et de menaces de mort manuscrites, ère pré-digitale oblige. De fait, le créateur et son équipe se sont pliés à une cadence intenable pour boucler l’intrigue dans les délais impartis par son calendrier de diffusion télévisuelle, ce qui explique en partie l’allure minimaliste de cet épilogue. Pour calmer la déception criarde des fans et capitaliser un peu plus sur la franchise, le studio Gainax met en chantier une nouvelle fin sous forme de deux films sortis l’année suivante. Hideaki Anno s’acquitte de la tâche dans ce qui reste le plus impressionnant doigt d’honneur créatif de la fin de siècle. Dans un premier temps, Neon Genesis Evangelion : Death & Rebirth condense en un peu plus d’une heure l’intrigue des 24 épisodes de 20 minutes de la série dans un montage cut, collage épileptique truffé de panneaux et de répétitions sursignifiantes, capable dans le même temps de s’offrir des pauses contemplatives jusqu’au malaise (le moment précédant la mort de Kaworu s’y éternise le temps de décupler son impact). Death & Rebirth utilise des scènes inédites comme pour tordre le souvenir du show, triture le matériau de base pour donner un nouveau sens souvent destructeur aux images originales – le plus fameux et redoutable exemple étant sans aucun doute la séquence où Gendo Ikari reprend les commandes de l’EVA 01 des mains de son fils pour le forcer à anéantir son camarade : le montage plus ramassé, au gré duquel Shinji supplie son père d’arrêter dans une série de soubresauts, transforme presque la scène en viol incestueux. Et parce qu’a priori, le ton est encore un peu trop à la déconne, Hideaki Anno entame Neon Genesis Evangelion : The End of Evangelion, sa nouvelle conclusion alternative, avec une scène atroce où Shinji, toujours plus extrême dans la haine de soi, se masturbe sur le corps inanimé d’Asuka à l’hôpital. Ce prologue dérangeant et dérangé trouvera un écho dans la toute dernière réplique prononcée par le même Shinji après une apocalypse de visions traumatiques : « Ça me dégoûte » ou « Je me dégoûte » selon les traductions. Bonne ambiance. Un seul message demeure limpide à l’éclairage de cette deuxième conclusion : parfois, les fans devraient se méfier de ce qu’ils désirent, surtout avec un artiste aussi entier que Hideaki Anno et une oeuvre aussi complexe et insaisissable que Neon Genesis Evangelion.



LA DÉPRÉSSION COMME UN MECHA 
En 1991, Hideako Anno termine la production de la série animée Nadia, le secret de l’eau bleue. Ce fabuleux hommage à Jules Verne, initialement développé par Hayao Miyazaki, est le genre d’accomplissement artistique dont rêvent tous les réalisateurs. La période post-partum vire à la sinistrose, la sinistrose laisse place à un colossal épisode dépressif, accompagné de plusieurs tentatives de suicide. Les troubles dont souffrait Hideaki Anno depuis plusieurs années s’abattent sur lui en nuées, et le réalisateur ne sort de son état qu’au terme de quatre ans de soins et de lutte acharnée pour reprendre le dessus. Neon Genesis Evangelion est le produit direct de sa maladie, laquelle reviendra pointer le bout de son nez souffreteux aux deux tiers de la production. Dans ses seize premiers épisodes, Evangelion a des airs de série mecha quasi lambda, à l’animation particulièrement léchée. La maladresse sociale du personnage principal le rend vaguement attachant, les personnages secondaires intriguent autant qu’ils amusent – Shinji partage sa colocation avec une semi-alcoolique et un pingouin domestiqué, sources de gags de promiscuité et autres quiproquos rigolos. Quelques indices épars sèment le trouble sans trop révéler pourquoi, comme si la série avançait masquée. De la nature incertaine de la menace (des kaijus protéif [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte