Neil Marshall : « J'aime montrer des ambiguïtés morales »
Lors de la dernière édition du PIFFF, le cinéaste anglais présentait son nouveau film The Lair, qui débarque chez nous en vidéo et VOD dès le 13 janvier via Koba Films. C’était l’occasion de l’interroger sur une carrière déjà longue de vingt ans, et marquée par un sens aigu de l’action au sein de paysages sauvages.
Vous semblez avoir été biberonné au cinéma américain, mais d’un autre côté, vos films ont une sensibilité très britannique, notamment parce que vous avez souvent tourné dans les Highlands écossais…
Je crois que j’ai toujours essayé de combiner ma sensibilité, qui est britannique – par exemple, j’ai mon propre sens de l’humour, qui est fort différent de l’humour américain –, avec l’ampleur du cinéma hollywoodien. Comme ce dernier, je veux faire des films qui plairont aux spectateurs, qui les effraieront… Mais au lieu de copier ce modèle, j’ai plutôt tenté d’ouvrir le cinéma britannique au monde.
Quant à l’Écosse, mes parents sont tombés amoureux de cette région il y a longtemps. Quand nous étions enfants, nous montions ainsi dans les Highlands chaque année pour les vacances. Et j’ai continué d’y aller une fois adulte, car j’adore cet endroit. Il recèle une magie et une mystique que je ne saurais expliquer : il faut être sur place pour la ressentir.
Mon premier long-métrage Dog Soldiers a ainsi été massivement inspiré par cet environnement. En effet, le Royaume-Uni est un assez petit pays, qui compte peu de zones vraiment sauvages. S’il y avait des créatures effrayantes, les Highlands seraient donc le seul lieu où elles pourraient subsister sans être découvertes. D’où le monstre du loch Ness et sa mythologie. Bref, dès lors que je faisais un film de loup-garou, il semblait naturel de le situer en Écosse.
The Descent y a aussi été tourné, bien que l’histoire se déroule aux États-Unis. Par la suite, j’ai encore situé Doomsday et Centurion en Écosse, même si le premier a été tourné en partie en Afrique du Sud.
Neil Marshall et l'actrice Nora-Jane Noone dans les décors de The Descent.
Pour le design des loups-garous de Dog Soldiers, vous avez été influencé par Hurlements ?
En fait, j’ai repris des éléments de tous les films sur ce thème que j’aimais. Mais Hurlements était effectivement la plus grosse influence, pour la haute taille des loups-garous et le fait qu’ils marchent sur deux jambes. Cependant, j’ai aussi tâché de me distinguer de ce modèle. Avec un ami artiste, nous avons donc conçu un design assez inédit, à la fois musclé, élégant et tout en courbes.
Puis, pour endosser les costumes lors du tournage, j’ai engagé non pas des cascadeurs, mais des danseurs. Ces derniers ont donné aux loups-garous leur allure suave, presque féminine. Nous n’avons pas exploité cet aspect autant que je l’espérais, mais c’était l’idée.
Il faut dire que vous donnez seulement de rapides aperçus des créatures, selon une technique que vous avez souvent utilisée…
Les spectateurs ont maintenant une idée précise de ce à quoi ressemblent des loups-garous, et je crois que l’illusion se serait brisée si nous nous étions trop attardés sur eux. Il s’agissait donc de les garder dans l’ombre, de les éclairer par-derrière, pour n’en révéler que des bribes. De temps en temps, je leur consacrais quand même un beau plan, mais sans trop m’attarder.
J’ai poussé cette méthode dans The Descent et dans les autres films de créatures que j’ai réalisés ensuite, jusqu’à The Lair : moins, c’est plus, surtout quand vous avez un budget limité et que vous utilisez des effets physiques. Car conserver ces derniers est très important pour moi. Tous mes films préférés, comme Hurlements, Le Loup-garou de Londres, Alien, The Thing, Predator, ont des monstres créés avec des trucages physiques, et ils tiennent toujours aussi bien le coup aujourd’hui. En revanche, même les effets numériques récents paraissent rapidement datés.
L'un des impressionnants loups-garous de Dog Soldiers.
The Descent est radical dans le réalisme de l’éclairage. Quand il fait noir…
… il fait vraiment noir, oui. Pendant que j’écrivais le scénario, j’ai dit au directeur photo : « Écoute, je veux que ce soit authentique, que les seuls éclairages dans cette caverne soient ceux que portent les personnages. ». Il m’a répondu que c’était faisable, mais que je devais m’assurer qu’il y ait une source de lumière pour chaque protagoniste et dans chaque scène.
J’ai ainsi tout prévu, que ce soit une torche électrique, un feu allumé, une caméra vidéo… Et c’était productif, car cela m’a donné l’idée d’affecter un éclairage différent à chaque personnage. Ainsi, le spectateur le reconnaissait immédiatement, suivant qu’il actionne un bâton lumineux ou autre chose.
Vous remarquerez que quand ils ont fait The Descent 2 sans moi, il n’y avait rien de tel : tout le film était éclairé, et personne n’y a cru. À l’inverse, j’avais décidé qu’il pouvait très bien y avoir un plan tout noir, à l’exception d’un petit coin où quelqu’un grattait une allumette. Cela me permettait de créer une ambiance de claustrophobie.
The Descent reste votre film le plus populaire. D’après vous, cela vient de son titre à double sens ?
Quand j’écrivais le scénario, il s’intitulait The Dark, mais un autre film s’appelait déjà ainsi. Nous avons donc effectué le tournage sous le titre de Crawlspace, avant que j’aie l’idée de The Descent. En effet, j’adore les titres qui fonctionnent à plusieurs niveaux. Et c’était vraiment le cas de celui-là, puisque le film est à la fois une descente physique et une descente psychologique.
Neil Marshall en mode général sur le tournage de Doomsday.
La psychologie est plus brute dans Doomsday. Vous vouliez faire une version pop des films post-apocalyptiques des années 1980 ?
Oui, c’était complètement un hommage au cinéma des années 80 en général, et au post-apo en particulier. Mais j’y ai aussi injecté des tas de choses. Le succès de The Descent m’avait donné une grande marge de liberté, et quand j’y repense, je peine à croire que des gens m’ont donné de l’argent pour faire Doomsday, tellement il est extrême et extravagant.
En plus, cela ne s’était jamais vu de tourner un gros film d’action au Royaume-Uni sans un énorme casting. Bien sûr, Doomsday a des noms comme Bob Hoskins et Malcolm McDowell, mais il n’y a pas du tout de grande star hollywoodienne. Selon les standards américains, ce n’est probablement pas une production à gros budget, mais selon mes standards, ces 28 millions de dollars représentaient beaucoup d’argent.
Et nous nous sommes éclatés à faire le film, qui est né d’une vision dans mon esprit : un soldat futuriste face à un chevalier médiéval. Or, je n’avais pas envie d’une histoire de voyage dans le temps. J’ai donc eu l’idée d’un univers post-apocalyptique, et comme il y a beaucoup de châteaux en Écosse, je me suis dit qu’en cas de fin du monde, ils seraient toujours debout et que les survivants y trouveraient des armures et des vêtements. Vu l’actuelle pandémie, Doomsday était assez prophétique.
Le thème du virus reviendra dans The Reckoning, et il y a d’ailleurs des rimes dans votre filmographie. Par exemple, le mur d’Hadrien, qui séparait la partie de la Grande-Bretagne occupée par l’Empire romain et le nord de l’île, se retrouve à la fois dans Doomsday et Centurion…
En fait, j’ai eu d’abord l’idée de Centurion, et je l’ai mise en attente parce que je devais tourner Doomsday. Mais j’étais conscient que les deux films montraient des versions du mur à des époques différentes, ce que je trouvais assez intéressant.
Bizarrement, j’ai terminé u [...]
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