MOTHER! de Darren Aronofsky

Mother!

S’il fallait reconnaître une chose au dernier bébé tourmenté de Darren Aronofsky, c’est bien d’avoir divisé les foules par une approche « in your face » qui fait singulièrement tache au sein du torrent de tiédeur cinématographique dont nous asperge Hollywood. Reste à savoir si cette brutale déflagration cinétique fait de Mother! un bon film. La réponse (ou pas) dans les pages qui suivent.
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POUR
À une époque où chaque étape de la conception d’une oeuvre cinématographique est souvent déflorée ad nauseam, il y a quelque chose de particulièrement rafraîchissant dans le fait d’attendre un long-métrage aussi mystérieux et cryptique que Mother!. Disons-le d’emblée : non, le dernier effort de Darren Aronofsky n’est ni un remake de Rosemary’s Baby, ni un film de vampires, et encore moins le clone de Black Swan que Paramount a cru s’offrir en se laissant aveugler par l’équation « Aronofsky + star hollywoodienne sexy + horreur = succès au box-office ». Fiévreux et jusqu’au-boutiste, Mother! ne manquera pas de diviser le public tant son scénario multiplie les ruptures de ton pour plonger le spectateur dans un état d’inconfort similaire à celui qui tourmente sa protagoniste principale, campée par une Jennifer Lawrence moins maniérée que de coutume. Fasciné par les personnages au bord du gouffre, Aronofsky signe ici un vrai mind fuck « subjectif » (l’héroïne est de tous les plans) où les séquences évoquent alternativement certains thrillers italiens des seventies (on pense à L’Emmurée vivante, bien sûr, mais aussi à Shock) ou l’esprit satirique d’un Luis Buñuel période L’Ange exterminateur. Car on rit beaucoup devant le calvaire enduré par une jeune femme (Lawrence) voyant sa tranquillité « in utero » menacée par l’arrivée d’un couple envahissant (Ed Harris et Michelle Pfeiffer). Des éléments perturbateurs qui ne vont pas tarder à tisser d’inquiétants liens affectifs avec son mari (Javier Bardem), un écrivain quinquagénaire en panne d’inspiration et dont l’ego est immédiatement flatté par la déférence de ses invités… Fort de sa position de démiurge, Aronofsky observe avec grand intérêt ce microcosme hors du temps (pas de téléphone portable ni d’ordinateur) qu’il s’amuse à détruire de l’intérieur par une succession de petites touches d’humour féroce, à l’image de cet évier instable maltraité par une meute d’indélicats en dépit des avertissements de la pauvre future maman.
Typiquement aronofskienne dans sa démesure mélodramatique, l’intrigue permet au metteur en scène de Pi d’explorer les thématiques existentielles qui l’obsèdent depuis ses débuts (Dieu, l’amour, la mort…), non sans sortir parfois de sa zone de confort, comme lorsqu’il se déleste de toute musique extradiégétique (une première dans sa carrière) afin de ne pas dicter à son auditoire la gamme d’émotions qu’il doit ressentir. Bien lui en a pris, si l’on en juge par la puissance d’un troisième acte absolument bluffant d’authenticité, véritable tour de force dans lequel la maison est littéralement transformée en champ de bataille par une horde de fans au comportement aussi hystérique que celui d’une Humanité peu concernée par le sort de la planète. Et si la démonstration n’évite pas quelques lourdeurs (le réalisateur n’a jamais fait dans la dentelle) et/ou emprunts trop appuyés (Ténèbres, notamment), Mother! prouve une nouvelle fois à quel point Darren Aronofsky reste l’un des cinéastes majeurs de sa génération, un cas quasi unique de formaliste dont le talent sert avant tout à mettre en avant le travail de comédiens sans le talent desquels ses vaillants efforts seraient vains.

J-B.H.




CONTRE
Le « cas » Darren Aronofsky est passionnant. Cinéaste surdoué ayant percé sur la scène mondiale en 1998 avec un tout petit long-métrage ronge-crâne désigné comme le nouvel Eraserhead (Pi), le bonhomme n’a cessé d’aligner les films clivants avec une audace indéniable, mais aussi une tendance à la sur-signification pas toujours très finaude qui a amoindri la portée de certaines de ses oeuvres les plus marquantes (Requiem for a Dream). Après un faux virage stylistique (The Wrestler), un remake camouflé de Perfect Blue (Black Swan) et une épopée biblique brouillonne (il y a à boire et à manger dans Noé), le voilà qui revient avec le mystérieux Mother!, où la femme d’un auteur victime du syndrome de la page blanche voit son univers se déliter pour sombrer dans la folie furieuse. Aronofsky aurait écrit le film en cinq jours. Un exploit pour certains, mais cela expliquerait peut-être la violente paralysie thématique qui tétanise littéralement le film à la fin de son deuxième acte. À ce stade, Aronofsky a déjà à peu près tout dit sur son sujet (le processus artistique est un acte de vampirisme égoïste et destructeur d’une violence psychologique extrême), et l’a plutôt bien fait, nonobstant une sécheresse émotionnelle plus liée au point de vue démiurgique du cinéaste qu’à la performance d’une J-Law fiévreuse et fragile. Lui-même bloqué devant sa page blanche, Aronofsky décide donc de lâcher les chevaux pour donner le change : son troisième acte ne fait que reproduire en bigger and louder son deuxième (une nouvelle invasion de l’intimité du couple) dans une hystérie visuelle et sonore qui n’apporte rien au sujet (si ce n’est des passages dont les ZAZ auraient été fiers) et le surcharge même de raccourcis gênants (quand l’homme crée, la femme ne pense qu’à pondre un gniard qui deviendra son unique préoccupation). Monument de mauvais goût virtuose, cet immense climax donne le tour [...]

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