Morse ou vif

Tusk

Tout juste sorti du désastre de TOP COPS, Kevin Smith nous avait pris par surprise avec l’époustouflant RED STATE, modèle de mise en scène et d’écriture prêt à toutes les prises de risque pour offrir à son spectateur une expérience unique. Après quatre années passées à podcaster librement sur la Toile, Smith revient en grande forme avec TUSK, dont la démence confirme une réorientation de carrière foutrement Mad.

« Dans mon podcast », note Smith, « on me demande souvent de refaire des films comme Clerks, les employés modèlesou Méprise multiple. Mais c’est difficile ! J’ai 44 ans, et ces films ont été tournés par un gamin passionné d’une vingtaine d’années, qui avait encore toute sa vie devant lui. À l’époque, je ne réalisais pas à quelle vitesse un artiste peut se consumer. » Si la sortie prochaine de Clerks 3 promet quelques sursauts de comédie geek à l’ancienne, le réalisateur de Méprise multiple ne rêve visiblement que de passer à autre chose. « Sincèrement, je ne veux plus jamais être le jeune homme qui a tourné Méprise multiple. Il y a tellement de souffrance liée à ce film, ça me fait encore mal. Je n’ai tourné ce film que pour exorciser toute cette douleur, pour grandir une fois pour toutes. Aujourd’hui, je veux tourner des choses bizarres, qui me rendent heureux. Je me suis vraiment dit ça pour Tusk : je me suis vu sur mon lit de mort, en train de regretter de n’avoir pas fait ce putain de film de morse, aussi stupide soit-il ! Au lieu de ça, sur mon lit de mort, je me dirai : « J’arrive pas à croire qu’on m’ait laissé faire ce putain de film de morse ! ». » Ce putain de film de morse, donc, est effectivement bâti sur un concept méchamment tordu : de passage au Canada pour interroger la malheureuse victime d’une vidéo virale assez dramatique, un podcaster en manque de sujets originaux (Justin Long, dans le rôle de Kevin Smith lui-même) tombe sur une annonce énigmatique dans les toilettes d’une épicerie. Excité par la promesse d’un récit hors du commun, Wallace se rend au milieu de nulle part, dans la demeure du mystérieux Howard Howe (Michael Parks). Drogué et immobilisé, Wallace devient le sujet d’expériences abominables, Howe s’étant promis de transformer son hôte en morse…

« Des fois quand on prend des risques, le résultat peut vous exploserau visage » s’amuse Smith. « Des gens ont détesté Tusk. Détesté ! Comme si j’avais fait un truc à leur maman ! » On ne rejoindra en aucun cas ces farouches détracteurs ; on serait plutôt tenté de célébrer le culot de Smith, sa capacité à embrasser totalement son concept et à assumer son contrat horrifique jusqu’au bout. Souvent terrifiant, flirtant avec une atmosphère cauchemardesque et nonsensique à la David Lynch (cf. l’incroyable scène de dialogue qui ouvre les hostilités entre Long et Michael Parks, tous deux formidables), Tusk se permet des excès aussi insolents que jubilatoires, l’émotion et l’effroi allant crescendo durant les deux premiers actes. Encore marqué par les soudaines ruptures de ton de Red State, qui faisaient justement tout son intérêt, Smith s’essaie de nouveau à cet exercice de funambule, un basculement stylistique radical intervenant à l’orée du dernier tiers. Ce basculement pourra irriter, Smith s’appuyant dès lors sur le cabotinage d’un Johnny Depp méconnaissable, à deux doigts de faire sombrer le long-métrage dans la parodie pure. « On m’a souvent dit que le film était très bien jusqu’à l’apparition de Johnny Depp » atteste Kevin Smith. « Je dois sans doute m’expliquer à ce sujet. Le film est si noir et brutal… Il était prévu au départ que le script ne quitte jamais la maison, mais je n’ai pas pu m’y tenir. Ça devenait suffocant. Je me suis dit qu’au bout d’une heure, il fallait faire comme dans Red State : commencer un tout autre film. Nous voilà donc face à ce détective obsédé par le tueur. Pour son interprétation, Johnny m’a dit qu’il pouvait aller de réaliste à complètement ridicule. Je lui ai dit : « Va pour ridicule. ». Il m’a répondu : « Attends, tu es sûr ? ». Je lui ai dit que les spectateurs allaient voir le truc le plus bizarre de tout le film juste avant son introduction. Je voulais que son apparition ait un véritable impact et pour que ça fonctionne, il fallait que son personnage soit encore plus bizarre que le morse lui-même ! » Faute de convaincre, l’argument se tient, et souligne une démarche artistique entière et cohérente. Une consistance dans la folie, en d’autres termes, qui éveille encore plus la curiosité quant aux prochains longs-métrages de Smith.

« Grâce à Tusk, des choses formidables sont arrivées » conclut le cinéaste. « Le financement de Clerks 3 s’est débloqué, mais plus important encore, j’ai pu faire un putain de fi [...]

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