Les tueurs de la lune de miel : les adaptations
Et de un qui font six ! Soit Alleluia qui s’additionne à Lonely Heart Bandits daté 1950, aux Tueurs de la lune de miel qui remonte à 1970, à Lonely Hearts de 1991, Carmin profond de 1996 et Coeurs perdus exactement dix ans après. Des longs-métrages qui, d’une manière ou d’une autre, dans des styles souvent antagonistes, s’attardent sur le cas de Martha Beck et Raymond Fernandez. En 1947, ces deux-là se rencontrent par le biais du courrier du coeur d’une gazette. Nul doute que le second, escroc et gigolo d’origine espagnole, a l’intention de soulager la première, une infirmière en surpoids, de ses économies. Après tout, c’est son gagne-pain. Leur rencontre ne répond cependant pas au schéma habituel ; ils s’éprennent passionnément l’un de l’autre et prennent ensemble la route du crime. Se faisant passer pour sa soeur, malgré sa jalousie maladive, Martha Beck aide Raymond Fernandez à arnaquer sexagénaires esseulées, ménagères en quête du grand amour, veuves en mal d’un nouveau compagnon… Un plan bien rodé qui n’exclut pas le meurtre en cas de besoin. Arrêtés après avoir tué une mère et sa fillette, ils passent sur la chaise électrique le 8 mars 1951, toujours follement épris l’un de l’autre. Inévitable que le cinéma finisse par s’emparer de leur sulfureuse love story. Ce qui sera fait avant leur exécution, en 1950, dans une toute petite production Republic Pictures que signe George Blair, Lonely Heart Bandits. Une série B nerveuse où les imaginaires Tony Morell (John Eldredge) et Louise Curtis (Dorothy Patrick) se substituent aux vrais Raymond Fernandez et Martha Beck. Au terme du siège de leur repaire par la police, le premier est abattu, la seconde blessée. Pendant ce temps, leurs modèles croupissaient au fond d’une cellule, dans l’attente de leur sentence.
ENQUÊTE SUR UNE PASSION
Durant la seconde moitié des années 60, le cinéma américain se penche de plus en plus sur les grandes affaires criminelles. Ce qui donne coup sur coup d’aussi belles réussites que De sang froid, L’Étrangleur de Boston, Bonnie & Clyde… À Hollywood, les tueurs ont la cote, qu’ils soient des gangsters, des schizophrènes ou des « amateurs ». Ainsi, quand le riche financier Leon Levy lui offre 150 000 dollars dans le but de monter le projet cinématographique de son choix, Warren Steibel, connu jusque-là pour le talk-show politique Firing Line, ne réfléchit pas longtemps avant de jeter son dévolu sur Martha Beck et Raymond Fernandez, dont il a lu l’histoire dans des journaux. « Pourquoi me suis-je souvenu d’eux ? » explique Warren Steibel au New York Times. « Parce que, comme Martha Beck, j’ai passé une bonne partie de ma vie à lutter contre les kilos ! À l’époque, j’étais vraiment au maximum de mon poids. De plus, comme ma mère, elle avait été infirmière. »
Si Steibel tient un sujet stimulant, il lui manque cependant un scénario. Pour l’écrire, il ne cherche pas bien loin ; il demande à l’ami avec lequel il partage un appartement de s’y atteler. Leonard Kastle est cet ami, un musicien et metteur en scène d’opéra. Bien qu’il ne connaisse rien au 7e Art, ce dernier s’atèle à la tâche, se documente abondamment, consultant les minutes du procès, étudiant les photos des victimes. Tandis que le récit prend forme, le producteur et le scénariste s’accordent pour le confier à un jeune réalisateur, Martin Scorsese, dont le premier long-métrage, Who’s That Knocking at My Door ?, vient de connaître un certain succès d’estime. « Au terme d’une semaine de tournage, nous lui avons demandé de prendre la porte. Il était bien trop lent et, refusant les gros plans, rendait le montage très complexe » assure Leonard Kastle au San Diego Reader. Il aurait également pu raconter l’anecdote d’un plan de cannette nécessitant de longues heures de prises de vues. Scorsese viré, son assistant, Donald Volkman, le remplace brièvement. Suivant la suggestion des comédiens Shirley Stoler et Tony Lo Bianco, Warren Steibel délègue alors la fonction à Leonard Kastle, aussi novice soit-il. Celui-ci accepte et, sur les bases du style documentaire noir et blanc jeté par Martin Scorsese, reprend le travail à zéro, dirigeant de main de maître deux acteurs principaux issus du théâtre. Une aubaine pour ces débutants dont la prestation lance la carrière. Elle ira jusqu’en Italie jouer une commandante de camp de concentration dans Pasqualino Settebellezze. Lui multipliera ensuite les rôles de gangsters et de flics, dont l’un des mafieux de French Connection. « Les vrais génies des Tueurs de la lune de miel, ce sont le chef-opérateur Oliver Wood et le monteur Stanley Warnow » plaide Tony Lo Bianco, l’air de sous-entendre que Leonard Kastle n’a réussi qu’entasser des kilomètres de pellicule.
Assurément, le réalisateur a fait bien mieux qu’assurer un remplacement au pied levé, comme le prouve le manuscrit du scénario regorgeant de détails précis, y compris sur les mouvements de caméra… À une production qui aurait pu n’être qu’une série B mal fichue, il [...]
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