Légendes : William Girdler

Durant les sept ans que couvre sa filmographie, William Girdler a réalisé neuf longs-métrages. Une cadence infernale mue par la certitude que, son grand-père ayant rendu l’âme à 60 ans et son père à 40, ses jours étaient comptés. Aucun chef d’oeuvre à son palmarès, mais des séries B plus ou moins réussies, toujours motivées par une forte envie de cinéma.

La nouvelle tombe le 22 janvier 1978. La veille, dans le secteur de Manille aux Philippines, un hélicoptère heurte une ligne à haute tension et s’écrase. Les quatre occupants de l’appareil sont tués. Parmi eux, un certain William Girdler, un réalisateur de 30 ans qui assurait là les repérages de son prochain film, le dixième, The Overlords, long-métrage de science-fiction à la Star Wars écrit par Harry Kleiner (Le Voyage fantastique). Achevé par d’autres (il ne restait à boucler que les effets spéciaux du final), le neuvième, Le Faiseur d’épouvantes, n’accède aux écrans américains que le 28 avril de la même année. Son succès aurait pu modifier durablement la carrière de son défunt initiateur. Cruelle ironie du sort.
Né le 22 octobre 1947 à Jefferson County, dans le Kentucky, William Girdler grandit dans une famille de la grande bourgeoisie locale enrichie par l’industrie chimique. Rien d’étonnant donc à ce que le gamin soit conduit à l’école par un chauffeur en limousine. À partir de huit ans, il se passionne pour le 7e Art, en particulier pour Autant en emporte le vent et l’oeuvre d’Alfred Hitchcock. Adolescent, William Girdler reconstitue même une salle de cinéma à son domicile, avec un appareil de projection et des sièges achetés à un établissement en faillite. Marié à 17 ans, il poursuit ses études dans une école militaire privée. Un an plus tard, il se forme dans les services cinématographiques de l’Armée de l’Air, touchant à la prise de vues et au montage sur des films éducatifs ou d’entraînement, avec bidasses crapahutant dans la campagne, stands de tir, initiation aux soins de première urgence, etc. On est encore loin de Hollywood, mais il est à bonne école. Parallèlement, il ne rate pas une occasion de s’instruire, de décrocher des petits boulots de grouillot sur des plateaux, comme sur celui des Mystères de l’Ouest à la télévision, durant son cantonnement en Californie. 



KENTUCKY MASTER OF HORROR 
Après cinq ans passés sous les drapeaux, William Girdler renoue avec la vie civile. Retour dans le Kentucky natal, où la chaîne locale Wave-TV l’engage pour mettre en boîte des réclames et reportages. Flanqué de son beau-frère et meilleur ami, Patrick Kelly troisième du nom, il n’attend pas longtemps pour créer sa propre société : Studio One, une petite structure installée dans un entrepôt appartenant à son grand-père, d’abord destinée à produire des spots publicitaires et des bandes institutionnelles. Naturellement, William Girdler en veut davantage. À 23 ans, il se lance dans l’aventure incertaine du premier long-métrage avec The Asylum of Dr. Death, vite retitré Asylum of Satan (L’Antre de l’horreur en France). La brinquebalante histoire d’une jeune concertiste retenue prisonnière dans un hôpital psychiatrique dont le directeur compte la sacrifier sur l’autel de Lucifer afin d’acquérir la vie éternelle.
Comment réunir les 70.000 dollars nécessaires à la mise en images du projet ? Auprès de son opulente famille ? Pas question pour celle-ci de financer une activité aussi triviale. William Girdler s’y prend alors comme, plus tard, le feront Tobe Hooper pour Massacre à la tronçonneuse et les frères Coen pour Sang pour sang : il puise dans ses fonds propres, sollicite des amis, des notables et, surtout, convainc Irving Long, propriétaire d’une chaîne de cinémas, d’aligner à lui seul 50.000 dollars. Girdler met également à contribution toutes les bonnes volontés de Louisville, Kentucky, où sera tourné le film du 8 au 20 novembre 1971 : il obtient du matériel gratuit, des maisons pour les décors, les voitures de patrouille de la police du comté, des quidams défrayés un dollar et un repas la journée contre des rôles secondaires… Un effort collectif qui aide à surmonter les inévitables contrariétés et difficultés. Par exemple, le refus au tout dernier moment de l’actrice principale, Carla Borelli (transfuge du soap opera et seule actrice professionnelle du film), de se déshabiller devant la caméra. Ou encore les atermoiements de Sherry Steiner lors du tournage de la séquence où des serpents attaquent son personnage dans une piscine : le réalisateur en herbe devra recruter sa propre soeur, Lynne Kelly, pour faire office de doublure. « Malgré ma peur des reptiles, j’ai accepté de me mettre à l’eau » se souvient celle-ci. « J’avais autour de moi et sur moi une cinquantaine de serpents. Une expérience horrible. Comment un frère peut-il infliger une chose pareille à sa soeur ? Même les types chargés des cascades ont reculé ! »
N’ayant pas les moyens de s’offrir un professionnel des effets spéciaux de maquillage, William Girdler compose avec son ami James Carroll Pickett, qui lui fabrique un masque de Satan copié sur le diable cornu de Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur. Plus risible qu’effrayant. Pour donner à la grande scène de messe noire toute l’authenticité voulue, le réalisateur demande conseil à l’Église de Satan d’Anton Szandor LaVey, qui lui envoie un expert bénévole en la personne de Michael Aquino. Ce dernier corrigera les quelques minutes que dure la séquence de manière à la rendre plus crédible. Méticuleux, William Girdler agrémente celle-ci d’un accessoire hautement référentiel : la tunique du diable de Rosemary’s Baby. Comment se l’est-il procurée ? Mystère.
Maladroit, reflétant l’amateurisme de ses artisans, L’Antre de l’horreur ne rencontre pas l’adhésion qu’espérait son auteur. Néanmoins, il apparaît sur les écrans, y compris français. L’essentiel pour le jeune cinéaste. « Certains ont appris à faire des films en suivant les cours des écoles de cinéma. Pas moi ; j’ai appris en les faisant » explique-t-il. « Personne n’a vu les erreurs de jeunesse de William Friedkin ou de Steven Spielberg. En revanche, les miennes, tout le monde pouvait les contempler. Elles s’étalaient à l’écran », accompagnées d’une musique que le réalisateur novice compose lui-même, fort de sa pratique de la batterie, du piano, et de son passé de membre du groupe rock local « The Grave Diggers ».
Déterminé, William Girdler enchaîne rapidement sur un deuxième long-métrage. À peine L’Antre de l’horreur est-il achevé qu’il enquille sur L’Abattoir humain, Three on a Meathook en version originale. Même mode de financement à hauteur de 20.000 dollars (majoritairement alloués par l’agent immobilier Joe Schulten), mêmes interprètes non professionnels (Charles Kissinger, James Carroll Pickett, Sherry Steiner), même cadre de tournage (une ferme aux alentours de Louisville et l’entrepôt de Studio One)… Qu’importe que sa première tentative n’ait pas été rentable, William Girdler s’obstine avec cette histoire de serial killer rural préfigurant Massacre à la tronçonneuse. Dans l’espoir de passer du bon temps, quatre jeunes femmes se mettent au vert et, en panne, trouvent refuge auprès d’un fermier de leur âge dont le père a développé un goût prononcé pour la chair humaine en ragoût. Un tueur inspiré d’Ed Gein et, pour le réalisateur, l’occasion rêvée pour une belle hécatombe, dont une éventration et une saisissante décapitation à la hache. Les effets spéciaux sont cette fois délégués à un professionnel, J.G. Patterson Jr., transfuge des shockers de Herschell Gordon Lewis. « Les scènes de meurtre étaient à l’origine si violentes que William Girdler les a considérablement adoucies pour éviter le classement X » se rappelle Madelyn Buzzard, l’une des victimes à l’écran. Reconnaissant envers J.G. Patterson Jr., William Girdler lui donnera peu après un sérieux coup de main sur The Body Shop pour ses premiers pas de réalisateur.
En dépit des difficultés, comme le fait de demander à l’équipe de pousser un camion en panne pour donner l’impression qu’il roule normalement, William Girdler termine L’Abattoir humain au terme de neuf jours de tournage durant le printemps 1972. Essentiellement programmé dans les drive-in du sud des USA, ce deuxième film passe totalement inaperçu. Ses maigres recettes ne remboursent pas la mise de départ, aussi modeste soit-elle. Perte sèche pour les investisseurs, que le réalisateur se fera néanmoins un point d’honneur à rembourser bien des années plus tard en signant un contrat de 22.000 dollars pour les droits vidéos. 



BLACK HARRY 
L’Antre de l’horreur et L’Abattoir humain servent de carte de visite à William Girdler à l’occasion d’un déplacement à Los Angeles. « William poursuivait un but : montrer aux producteurs ce qu’il était capable d’accomplir avec des budgets ridiculement [...]

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