Légendes : Val Guest
Val Guest n’avait pas vocation à devenir l’un des grands réalisateurs britanniques de science-fiction. D’ailleurs, il n’avait pas vocation à devenir réalisateur tout court. « Au départ, j’étais acteur. Du moins j’essayais » annonce celui qui pousse son premier cri le 11 décembre 1911 à Londres, sous le nom de Valmond Maurice Grossmann. Il rendra son dernier souffle le 10 mai 2006, dans une maison de retraite de Palm Springs, en Californie. « N’étant pas doué, je n’avais aucun avenir dans ce métier qui, par contre, me donnait accès à des vedettes et me permettait d’alimenter les magazines en interviews » poursuit-il. « Un sérieux avantage sur les autres journalistes ! Mes prestations d’acteur se faisant rares, j’ai suggéré à Warner de mettre fin à mon contrat. Mes interlocuteurs ont accepté, sous réserve que le studio ait un premier regard sur les scripts que j’envisageais d’écrire. En fait, pour boucler mes fins de mois, je me suis retrouvé à rédiger des critiques pour le Hollywood Reporter. L’une d’elles, pour Chandu le magicien, m’a mis dans une situation délicate. Jugeant le film très mauvais, je terminais mon papier en proclamant que, même un bras attaché dans le dos et les yeux bandés, je serais capable de livrer un meilleur script, sans quoi je pouvais changer de métier ! » Marcel Varnel, le réalisateur de Chandu…, réagit vivement à ce papier incendiaire. En colère, il envoie un télégramme à Billy Wilkinson, l’éditeur de la revue, pour non seulement se plaindre, mais également lui annoncer qu’il aimerait qu’un « garçon aussi brillant » soit le scénariste de son prochain film. Val Guest se retrouve pris à son propre piège. Penaud, il rencontre Marcel Varnel, bredouille des excuses, et accepte de lui donner satisfaction ! Chose faite dès 1935 avec les dialogues de la comédie No Monkey Business. Val Guest et Marcel Varnel font cause commune sur 17 films, essentiellement des divertissements légers, dont trois avec l’un des comiques les plus populaires de l’époque, Will Hay. « Je travaillais dans le cadre de l’écurie de scénaristes des studios Gainsborough. Nous étions seulement quatre, corvéables à merci. Nous échangions des idées, nous nous corrigions mutuellement. C’est ainsi que j’ai apporté mon grain de sel à Une femme disparaît d’Alfred Hitchcock. »
DES OEUFS EN URANIUM
Val Guest aligne près de 30 scripts entre 1935 et 1943. Du travail à la chaîne sur des films modestes, parfois des courts-métrages. En 1942, entre deux manuscrits, il saisit une opportunité. « Le Ministère de l’Information m’a demandé de travailler au script de The Nose Has It !, un documentaire de propagande sur les dangers de l’éternuement. Il fallait mettre les troupes en garde contre les risques de transmission de maladies. J’étais le septième qu’ils contactaient pour le job. Un peu vexé, j’ai cependant accepté, à condition que je puisse aussi le réaliser ! Les critiques l’ont préféré au long-métrage avant lequel il était programmé, Mon amie Sally avec Rita Hayworth. L’un d’eux disait : « Le film du Ministère de l’Information constitue le meilleur de ce double programme ! ». Muni de la coupure de presse, je me suis précipité dans le bureau du producteur dont je dépendais. Il m’a répondu : « Oh, avec un peu de chance, tu deviendras vite le réalisateur attitré du Ministère ! ». J’ai rétorqué que je préférerais le devenir ici, chez Gainsborough Pictures. Voilà comment j’ai pu tourner mon premier long-métrage de fiction ! » Soit, dès l’année suivante, la comédie musicale Miss London Ltd. que suit, dans le même registre, Bees in Paradise.
Val Guest se spécialise dans la comédie et le musical, mêlant parfois les deux, cumulant dans ce domaine les oeuvrettes anodines. Daté 1951, Le Canard atomique sort du lot, récit loufoque mêlant humour et science-fiction dans lequel un couple, pendant sa lune de miel à la campagne, acquiert par mégarde une trentaine de palmipèdes, dont l’un pond des oeufs radioactifs riches en uranium et convoités par des puissances ennemies… « Adapté d’une pièce radiophonique, Le Canard atomique est une satire de la Guerre froide, un thème que l’on ne prenait pas à la rigolade au début des années 50 » explique son réalisateur/scénariste. « Le plus gros souci que j’ai rencontré sur le film fut Douglas Fairbanks Jr.. Non pas parce qu’il posait des problèmes, mais parce qu’on hésitait à l’appeler soit Mr Fairbanks, soit Sir Douglas. Sa partenaire, Yolande Donlan avec qui j’allais me marier, m’a averti que, si on lui donnait du « Sir », elle demanderait à ce qu’on lui donne du « Dame Yolande ! ». »
BIENVENUE CHEZ LA HAMMER
1954 est une année charnière dans le parcours de Val Guest ; elle marque le début de sa collaboration avec la Hammer Film, à l’occasion… d’une comédie, « Life with the Lyons, le portrait d’une famille d’excentriques où rien ne tourne rond » précise-t-il. « Le film part d’une émission radio très populaire devenue une sitcom. Marcel Varnel en a réalisé la première adaptation au cinéma, dont il m’a confié le scénario et la seconde équipe. Marcel décédé, Ben Lyon a pensé à moi pour lui succéder. Comme il avait signé un contrat avec la Hammer, il m’a amené dans ses bagages. À peine avais-je terminé Life with the Lyons que le patron de la firme, Michael Carreras, m’offrait de tourner La Revanche de Robin des Bois, sa première production en couleur. Il m’a ensuite proposé Rapt à Hambourg, un polar dont j’ai respecté le budget au centime près. Ayant gagné toute sa confiance, son principal lieutenant, Tony Hinds, m’a contacté un soir pour me parler de la version cinéma d’une série TV que venait de diffuser avec succès la BBC. »
The Quatermass Experiment est la série en question, illustration des aventures de Bernard Quatermass, un physicien passé maître dans la protection de la planète contre les aliens. « La Hammer avait beau me faire une fleur, je n’étais pas emballé dans la mesure où je détestais souverainement la science-fiction, et que d’autres projets m’attendaient. J’ai refusé, mais Tony a insisté, pressé de me fournir les scénarios de tous les épisodes de manière à ce que je reconsidère ma réponse. Juste avant que je prenne l’avion vers Tanger, où je comptais passer des vacances paisibles, il m’a remis les scripts en question, un énorme paquet. Honnêtement, je n’avais pas trop l’intention de les lire. Pendant des jours, ils sont restés dans un coin de la chambre d’hôtel. Ma femme m’y a poussé, et j’ai trouvé ça génial, captivant. J’ai aussitôt appelé Tony Hinds pour lui annoncer que j’avais changé d’avis, que non seulement je voulais réaliser le film, mais également l’écrire. » De retour à Londres, Val Guest se met au travail, condensant les seize manuscrits signés Nigel Kneale, le créateur du personnage, de manière à aboutir à une trame qui tienne sur une heure vingt. Quatre-vingts minutes pour raconter comment Bernard Quatermass découvre que l’unique survivant d’une expédition spatiale secrète subit de graves mutations, contaminé par une intelligence qui vide les corps humains de leur substance. Et si une intrusion extraterrestre à peine perceptible était en cours ?
Ce scénario, titré Le Monstre en français, Val Guest ne le signe pas seul. Légitimement, Nigel Kneale en demeure officiellement l’instigateur, mentionné au générique auprès de Richard Landau. La contribution de ce dernier ? Une légère réécriture de façon à ce que les spectateurs américains puissent regarder le film sans souffrir de dépaysement. « Sa contribution est réellement modeste » insiste Guest. « Sur demande du distributeur américain, il a veillé à ce que les dialogues ne soient pas trop « anglais ». Je porte la responsabilité de ce scénario, et j’assume avoir coupé énormément de passages de la série TV. Nigel Kneale ne me l’a jamais pardonné, mais cela était une nécessité. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il soit si mécontent du résultat final. Il m’a surtout reproché d’avoir changé la nature de Quatermass, quelqu’un de très anglais à l’origine. De légèrement éthéré et cérébral dans la série, il s’est transformé sous ma plume en quelqu’un de terre-à-terre, direct, insensible… Des traits de caractère qui correspondaient bien à un Américain. » Et que revêt à l’écran Brian Donlevy, interprète que Val Guest juge adapté au style qu’il souhaite donner au projet.
« J’ai rejeté les artifices habituels de la science-fiction » revendique-t-il. « Au contraire, je voulais que le film soit aussi réaliste que possible. J’ai d’ailleurs averti la Hammer que je souhaitais faire quelque chose proche des actualités cinématographiques d’alors, et qui utilise la technique de la caméra port [...]
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